Il y a comme un air - II

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Excédée, je due me mettre à quatre pattes sous les arbustes, seul et unique moyen d'engager le dialogue avec Chantal. Après quelques secondes d'œillades, Madame se décida enfin à rentrer avec moi. J'en fus extrêmement émue.

Tout en pressant le pas, je détachais mes longs cheveux. La visite dans les feuillages m'avait offert tout un écosystème ayant élu domicile dans ma crinière. En repassant devant le stand de Marcel, j'aurais juré l'avoir vu se pincer les lèvres pour ne pas rire.

Je grimpais les escaliers de mon immeuble deux à deux, Chantal sur mes talons. Tout en claquant fort la porte de mon appartement, je me précipitais au-dessus de l'évier de la cuisine pour frotter ma parka encrassée. Je sentis monter en moi la tempête, cette impulsivité qui me donne envie de cogner les murs, la même qui me fait dire des choses que je ne devrais pas. Ca m'était de plus en plus insupportable de ressentir constamment de la colère même pour les plus petites frustrations du quotidien. 

Et parce que je commençais à me connaître, je me laissa glisser le long du mur, enfuyant la tête dans mes jambes afin de contrôler ma respiration qui devenait saccadée. Quelques minutes plus tard, mon tensiomètre revenu à la normale, je pouvais enfin finir ce que j'avais commencé et reprendre un peu de contenance pour le reste de cette journée.

J'enfila une veste en jeans, pris mes affaires et referma la porte de mon logement en jetant un dernier regard à Chantal qui avait décidé de continuer sa nuit blottie dans un plaid sur le canapé. La belle vie ! J'étais terriblement en retard, mais décida qu'il était inutile de courir, j'en profitais donc pour marcher, m'imprégnant du vacarme matinal de la ville. Il me fallu une vingtaine de minutes pour arriver à l'agence. 

Je constatais avec soulagement mais non sans surprise, que Katherine n'était pas encore dans les lieux. Vincent quant à lui était penché sur un tas de feuilles, l'air concentré, probablement en pleine lecture d'un polar prometteur. Je m'assis en face de Lila, qui parlait au téléphone en soupirant toutes les deux phrases. Je pris donc l'initiative non sans difficultés, de classer le tas de paperasses qui dormait depuis des semaines sur mon bureau. 

Vers 13h, n'ayant toujours pas relevé la tête, Vincent s'invita à côté de moi.

- J'ai une bonne et une mauvais nouvelle.Me dit-il.

- Je suis toute ouïe, répondis-je tout en continuant à perforer mes feuilles A4 avant de les ranger dans le classeur des facturations.

- Ok, alors je commence par la mauvaise parce que la bonne vaut vraiment le coup... ». J'arquais un sourcil l'air impatiente. Il reprit « La mauvaise, c'est que l'autre dingue a oublié d'acheter du café et que nous sommes clairement en pénurie parce que je ne sais pas quand elle pourra le faire, ce qui m'amène à la bonne nouvelle, elle a décidé de prendre quelques jours de congés pour je cite 'surmenage et burn-out'. En d'autres termes, si le plan se déroule comme prévu, pas de Katherine à l'horizon pour un bon moment ! Et on sait toi comme moi que ce n'est pas plus mal. Faire tourner l'agence sans l'avoir dans nos pattes, cela devrait être dans nos cordes. 

- Elle t'as vraiment dit qu'elle était en surmenage ? Demandais-je.

En retour, Vincent me fit un signe de la tête qui me laissa croire qu'il ne rigolait pas et me dit : 

- Elle m'a aussi dit, qu'elle pensait du coup consulter un neurologue pour ses problèmes de concentration liées au stress... 

Lila demanda avec ironie : 

-  quel stress ? 

Je marqua une pause et questionna l'assemblée : 

-  Le neurologue étudie des pathologies du système nerveux types : démence, aphasie, décérébration, décortication, syndrome d'alcoolisation fœtale entre autres... Se peut-il qu'elle est enfin mis des mots sur ce qui expliquerait les derniers résultats de son électro-encéphalogramme ? »

Vincent rétorqua : 

- Dans ce cas, je pense qu'on est tous d'accord pour dire que contre la bêtise, aucune médecine ne peut sauver ? 

-  Tu devrais lui dire, avant qu'elle ne paye une consultation pour rien! M'exclamais-je.

Vincent pris donc l'initiative de réserver dans une brasserie proche de la Sorbonne pour notre petite pause de midi. J'adorais ces moments impromptus, qui arrivaient comme un cheveu sur la soupe. Le baume au cœur ressenti plus tôt dans la journée, revenait me pincer gentiment et je n'en fus que plus reconnaissante quand je me rendis compte qu'on était vendredi et que cela annonçait le week-end.

Peu après 16h, je filais en catimini de l'agence, bien décidée à profiter de cette fin d'après-midi. En rentrant chez moi, Chantal et moi étions toutes les deux d'avis qu'une petite soirée avec Milo s'imposait de bonne grâce. Nous prîmes donc la direction des appartements du lord Milo, qui à cette heure-ci devait à peine s'être réveillé des bras de Morphée. Je connaissais les chiffres de son digicode par cœur, lui même ne s'en rappelant qu'occasionnellement. Je toquais à sa porte et fus surprise de le trouver habillé, le teint frais, les cheveux propres, une cigarette dans le bec.

-  Bonjour l'ami, je te dérange ? dis-je sans attendre de réponse, pour la simple et bonne raison que quand il s'agit de Milo, je m'en contre fiche ! 

Je rentrais donc dans ses quartiers, déposait mes affaires sur le canapé, et m'affalais dessus. Il pris instantanément la direction de sa cuisine, pour en ressortir quelques secondes plus tard avec deux bières et un sachet de cacahouètes.

- Tu sais parler aux femmes, c'est indéniable, lui dis-je tout en décapsulant ma boisson.

-  Quel bon vent t'amènes mon petit cœur ?  Me demanda t-il.

-  Le soleil, le fait qu'on est vendredi et que j'ai pensé qu'il serait de bon ton de profiter de la soirée pour sortir... t'en dis quoi ?  Milo esquissa un sourire qui me fit croire que la partie était déjà gagnée d'avance.

-  On ne peut rien te refuser à toi, c'est ton problème. Je n'ai jamais aimé lire la tristesse dans tes yeux.  Me souffla t-il.

20 ans et quelques | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant