J'inspirais une nouvelle fois profondément avant de prendre mon élan.
- J'ai raturé plus de pages que tu ne pourrais le croire. Essayer cent fois d'écrire pour extérioriser ce que je ne sais pas dire normalement. J'ai imaginé un million de fois le récit de quelqu'un d'autre que moi. Passée plus de temps qu'il n'en faudrait assise derrière mon ordinateur avec le syndrome de la page blanche. Subie souvent mes excès de zèle quant au bout de plusieurs paragraphes, je me rendais compte à quel point c'était nul. Imaginée en boucle le bonheur que ce serait d'arriver enfin à clôturer la fin de l'histoire tant rêvée. Y croire très fort un jour. Finir dépitée le lendemain. La dernière fois que j'ai réussi à structurer l'une de mes idées, je n'étais pas née. C'est te dire.
Emportée dans mon farouche besoin d'expression, je réajustais ma posture, pour glisser mon pied sous mon postérieur. Ainsi, j'avais l'impression de mieux réfléchir, de laisser plus de place à l'extériorisation qui me guettait de près.
- A quel moment l'on sait que certains rêves peuvent être réalisables quand d'autres ne le seront jamais ? Est-ce que l'obstination est une bêtise où ça relève du génie ? Est-ce que c'est grave tu crois de s'imaginer avoir du talent quand personne d'autre ne le voit ? Parce qu'on se le dise, si j'avais des réponses à l'ensemble de ces questions, j'y verrais tellement plus clair. Je me fais tellement happé par le quotidien, par ma sensibilité au bout du fusil, que je ne peux même pas écrire une phrase, sans l'envoyer valser la minute d'après. J'admire tellement les gens qui sont capables de faire le vide autour d'eux, pour créer ce qui les animent. Et tant pis si ça ne marche pas ! Au lieu de ça, je me gave de vin rouge dans l'espoir vain d'y trouver une solution divine et je relate à Chantal mes inlassables rêveries dans la pénombre de mon petit appartement en chantant du rap conscient avec les traits tirés de la future-mais-pas-encore trentenaire qui a abusé sur la picole ! C'est cynique. Finissais-je, sur le ton de l'amusement.
Quoique à bien y réfléchir, il y avait une part de vérité qui n'était pas à négliger.
- Et pendant que le monde continue de tourner, toi, tu symptomatises tes frustrations par des plaques d'eczéma. Me reprit Ben.
- Et ça nuit considérablement à mes relations sexuelles, il faut croire.
- J'allais le dire. Me dit-il, l'air grave.
- Putain, la vie qu'est-ce que c'est pénible ! Balançais-je, blasée à mon maximum.
J'avais dû parler trop fort. Peut-être que je ne m'étais pas rendue compte que je venais de mettre en scène une conversation qui n'avait pas lieu d'être exposée en public. Une bande d'amis d'environ la cinquantaine se tenait à la table juste à côté de la nôtre. Au vue de leurs faciès réjouis, je comprenais qu'ils venaient d'entendre la totalité du psaume infâme que je venais de servir à Ben.
Je me sentis rougir. Consciente d'avoir donné du grain à moudre à une audience que je n'avais pas calculée. Triste aussi, de renvoyer l'image d'une fille tellement perdue, qu'elle en vient à se bercer d'illusions. Je détournais alors très vite le regard, pour me concentrer sur celui de mon interlocuteur.
Ben se racla le fond de la gorge et pris un air sévère que je ne lui connaissais pas.
- Je t'ai observé de longues minutes, ce soir-là, perdue au coin fumeur. Tu ne m'avais pas remarqué, c'est pour ça que je me suis mis à parler plus fort. Je voulais que tu me distingues et que tu arrêtes de regarder tes pieds. Quant enfin, tu t'es décidée à relever la tête, je savais que je venais de me mettre dans la panade. Si j'avais su à quel point !
Il prit une cigarette qu'il vint déposer délicatement entre ses lèvres. Je le voyais fouiller ses poches à la rechercher de son briquet. J'en avais un entre les mains mais j'étais incapable de m'en rendre compte. Mon cœur battait de façon irrégulière. J'avais peur de la tournure que prenait cette conversation. Je croyais simplement qu'on allait passer un bon moment parmi tant d'autres. Il fallait croire que ma naïveté me rattrapait.
- Emma, tu compliques tout. Je m'en suis rendu compte très vite. Il n'a pas fallu que tu sortes plus de trois, quatre mots pour que je cerne le personnage. Et loin de moi, l'idée de ne pas te trouver follement attendrissante. Mais sache le, tu es aussi attirante qu'abîmée. T'avais raison quand tu disais que tu défiais quiconque de s'attacher à toi. Pas parce que c'est impossible, mais parce que c'est suicidaire. Tu n'es juste pas très honnête envers toi-même. Je crois que tu refuses souvent à voir les évidences. Et moi, je n'ai pas envie de jouer avec ta vulnérabilité. Alors si je m'accroche, j'y gagne quoi ? Le temps que tu es d'accord de m'accorder ? Je ne suis pas fou, Emma. Je réalise ce qu'il y a de bien chez toi, mais je sais aussi que si j'y prête de l'importance, c'est toi qui va finir par noircir mes feuilles.
BOUM. C'était le bruit de ses mots qui se répercutèrent en moi.
- Tu me plais, je te l'ai déjà dit. Mais ce n'est pas à moi de reconstruire le puzzle. Tu es un joli chantier, probablement le plus sexy que j'ai croisé ces derniers temps. Mais là c'est moi qui suis honnête envers moi-même. Si je décide de te faire de la place, j'aimerai qu'il en soit autant pour toi. Et il y a une petite voix dans ma tête qui me fait dire que tu n'es pas encore prête. Je ne t'en veux pas. C'était à moi de ne pas te chercher... Et j'y suis allé comme un con.
D'une discussion sur mes rêves, nous en étions arrivés à la désagréable formulation d'une vérité pénible à entendre.
Note de l'auteur :
Je vais pas vous le cacher, ça a été un enfer d'écrire ce chapitre. J'ai recommencé 10 fois, chose qui ne m'était jamais encore arrivée. J'arrivais à un moment du récit où je ne savais plus quel souffle donné à l'histoire. C'est pour ça que j'ai retourné un million de fois les mots dans ma tête. Divination sûrement, je ne sais pas, mais ça y'est, je me suis remise d'équerre. Je sais exactement comment je vais continuer la suite. Et croyez-moi, ça a changé par rapport à mon idée de départ. Je pensais pouvoir écrire en gardant en mémoire le fil du récit, mais il se trouve que j'ai pas mal été influencée par des tas de choses. De un, par vos commentaires, de deux, par le réalisme que j'avais besoin de donner à l'histoire entre Ben et Emma.
Bon, tout ça pour dire, que j'ai besoin de vous garder sur le pont. Parce que qu'on se le dise, on va pas laisser Emma dans cette galère, n'est-ce pas?
Je compte sur vous pour un maximum de commentaires. J'ai vraiment besoin de savoir ce que vous en pensez.
Est-ce que vous comprenez la réaction de Ben ?
Est-ce que vous êtes d'accord sur le fait qu'Emma l'a un peu cherché ?
Est-ce que c'est la fin de Ben & Emma, où il y a un infini espoir que les choses s'arrangent ?
Bises à vous,
PS : je ne vais pas vous laisser en plan très longtemps, rassurez-vous. ;-)
PS 2 : Au fait, quels sont vos rêves à vous ?
Em.
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20 ans et quelques | Terminée |
ChickLitEmma a 25 ans et traverse les méandres de la crise du quart de siècle. Obstinée à ne pas voir l'éléphant dans la pièce, elle continue son chemin se heurtant souvent à l'ennui et aux regrets en tout genre. C'est sans compter l'aide de ses amis, une r...