Le bélier qui va foncer commence par reculer,

537 70 2
                                    

Je courus jusqu'à perdre haleine et une partie d'un de mes poumons. Le boulevard s'étendait devant moi, comme un long tunnel dont on ne voyait jamais le bout. Je perdis mon sang-froid plus d'une fois, quand des passants mobilisaient la moitié du trottoir pour se laisser aller aux lèches vitrine, bifurquant entre les poussettes, les vieillards et les gens trop peu pressés.

Je traversais la rue Saint-Jacques pour rejoindre l'Ile de la Cité. Il ne me fallu pas plus de cinq minutes pour enjamber les quais de Scène avec une rapidité rarement égalée dans mon championnat. Je n'avais pas une minute à perdre. Et ma promenade de santé se noyait dans les gaz d'échappements, véritable obstacle au maintien de mon souffle amoindri.

Arrivée sur le pont de Notre Dame, je dus retenir mon attention parmi le bal de photographes en herbe, qui s'extasiaient de chaque merveille que Paris avait à leur offrir. Ce que ça pouvait m'offusquer !

Poussez-vous, avais-je envie de hurler. La totalité de mes muscles venaient de se tendre, me rappelant douloureusement le manque d'exercice dont j'étais responsable.

Pourquoi fallait-il toujours que j'agisse dans l'urgence ? Pourquoi était-je entrain de me transformer en coyote en plein milieu de la ville, pendant que d'autres s'adonnaient à leur petit plaisir ?

Etais-je excessive ? Pensais-je sincèrement que j'allais pouvoir sauver quoique ce soit ?

Je balayais mes questionnements aussi vite qu'ils arrivèrent. Je ne voyais pas d'autres issues. J'avais besoin d'être présente pour temporiser une situation qui se voulait déjà délicate. Et surtout, je souhaitais préserver l'équilibre de mon entourage. Et pour se faire, je n'avais qu'une seule et bien cinglante solution.

Arriver, la première.

Milo habitait à deux pas de la rue Pernelle. Dans un élan de courage certain, je poussais ma course d'un pas encore plus fringant pour me retrouver à quelques mètres de son immeuble.

C'est ici, que pour la première fois en quelques minutes, je m'octroyais le droit de reprendre mes esprits. Je réajustais ma tenue et mes cheveux, tout en essuyant les fines gouttes qui perlaient sur mon front.

Le printemps déjà bien installé, laissait sans nul doute place petit à petit à l'été. Et la chaleur du goudron venait souffler sur mes joues humides.

Je laissais mes jambes nues, trembler comme un joueur de claquettes. La sueur de mon corps venait se fondre dans le tissu de ma robe. Et je peinais à décoller l'étoffe de ma poitrine.

Je reprenais peu à peu une respiration normale. Mon cœur pourtant continuait de tambouriner à l'intérieur de ma cage thoracique. Mélange d'effort et d'adrénaline. Je cherchais à maîtriser l'ensemble des émotions qui m'assaillaient. J'avais besoin de faire le tri, pour ne pas provoquer de débordements. J'étais là en messagère de paix. Ce que je voulais, c'était de la douceur. Rien que cela. De la douceur à l'état brut, dans sa forme la plus éclatante qui soit.

Placidement, je tapais les codes de la porte, qui s'ouvrit à grand fracas.

J'empruntais les escaliers de service pour atteindre plus rapidement l'étage de Milo. Personne ne passait jamais par là. L'ascenseur était vraisemblablement le moyen le plus rapide pour atteindre le sixième étage et personne ne pouvait prétendre le contraire. Mais je ne souhaitais pas être interceptée par quiconque. Et à mesure que mes pas grimpaient les marches, je me détendais entre chaque pallier. Bientôt l'odeur de peinture fraîche se fit sentir. Je savais que ma destination était proche. Je percevais au loin, le parfum de l'aquarelle et des boiseries vieillissantes. Les effluves de Patchouli me revinrent presque aussitôt. Signe que Milo était passé par là quelques instants plus tôt. Je sentais sa présence et l'entièreté de son univers si singulier. La porte d'entrée me faisait face, laissant filtrer des éclats de voix qui eurent pour effet de figer ma posture.

20 ans et quelques | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant