Le temps passé avec Ben ressemblait à des montgolfières suspendues dans le vide. Chaque petite minute était hors d'atteinte, enclavée dans une bulle où nous avions l'air de nous complaire.
Ben était un artiste, un éminent bohème au style de vie décalé. Il aimait la nuit, comme moi j'aimais le jour. Pourtant, nous avions l'air tous les deux de fournir des efforts colossaux pour flirter sur le même fuseau horaire.
Il s'appliquait à poser un sparadrap sur les petits bobos que je trimballais ici et là. Parce que même si je n'avais pas trouvé de sens à mes affaires, je n'en demeurais pas moins euphorique. J'aimais le regarder marcher à mes côtés dans les dédalles des rues parisiennes. Et il me faisait rire.
On avait souvent tendance à négliger ce que le pouvoir d'un rire spontané avait comme vertu sur le moral. Tout comme, je me rendais compte que peu de gens finalement pouvait se targuer d'avoir un humour suffisamment aiguisé pour esclaffer ses paires. Alors, je prenais chaque fou-rire comme un cadeau. Je l'en remerciais silencieusement à chaque fois que mes zygomatiques se mettaient en action.
Ben, c'était mon exutoire. La bouffée d'oxygène de mon monde suffocant.
Il n'avait pas mis beaucoup de temps à percer à jour l'intégralité de mes fêlures candides. Fait extraordinaire, quand on connaissait mon aversion pour la psychologie de comptoir. Il fallait croire qu'il avait un don particulier pour me faire parler de moi en utilisant le mot 'je'. Là où bien d'autres n'avaient pas eu la patience nécessaire pour fracasser la coquille. Je n'en voulais à personne, j'avais choisi. Ben me rappelait simplement que je n'étais pas obligée de bâtir mon existence sur une succession de petits secrets.
Je le sus le jour où il me demanda la nature de mon rêve le plus fou.
Nous étions attablés à la terrasse du Bon Jovi. J'avais passé une énième journée épouvantable auprès de Katherine et j'avais développé dès lors, une plaque d'eczéma terrifiante sur le ventre. Je n'avais aucunement envie que Ben tombe dessus en m'enlevant mon t-shirt. Je fus donc contrainte de lui proposer une autre mouture pour la soirée.
Assise en face de Ben, je le détaillais pour la cent millièmes fois. Je n'en avais plus rien à foutre de paraitre discrète. Et je ne croyais pas me tromper en disant que ça n'avait pas l'air de le déranger outre mesure.
Sa question était tombée comme un cheveu sur la soupe. C'était l'apothéose de nombreuses discussions à sincérité sans équivoque.
Il abordait un thème que je m'étais longtemps refusée d'évoquer. La part de la rêverie dans ma vie avait était une facétie dans laquelle je m'amusais à explorer les tréfonds de mon imagination. Je n'avais toutefois jamais ressentie le besoin de l'exprimer à voix haute. Comme si pour moi, les rêves devaient être muselés dans les placards de l'âme. Et parce que c'était un sujet très personnel, j'avais peur que le songe se meurt aussitôt sorti de ma bouche.
Ben, lui, n'avait pas la même définition de la pudeur que la mienne. Il ne voyait pas d'inconvénients à afficher ses chimères, même les plus excessives. Il balayait les doutes du revers de la main, dans une aisance que je lui jalousais beaucoup.
Je savais qu'il souhaitait une réponse, que je ne pouvais m'en tirer avec une entourloupe. Pas cette fois-ci.
Il réitéra sa question.
- Quels sont tes rêves, Emma ?
La manière qu'il avait de détacher chaque syllabe de mon prénom me faisait toujours un effet de dingue. C'est comme si à chaque fois qu'il s'adressait à moi, il sondait ce qu'il se passait dans ma tête.
J'avais inspiré bruyamment, cherchant la manière la plus juste pour signifier mes pensées.
- Tu te souviens, quand tu m'as demandé pourquoi je travaillais dans l'édition et que j'avais conclu ma longue débâcle par un truc du genre « ce qu'il reste de mes rêves ce sont des aspirations ridicules » ?
Il hocha doucement de la tête.
- Et bien, on en est là. Rien n'a bougé ! On en est toujours au même stade de la spéculation.
Il me fixa avec le rictus rieur, qu'il abordait souvent avec moi. Comme si chaque ineptie qui sortait de ma bouche le faisait plaisanter.
- On a parlé de ton métier, de ce pourquoi tu te lèves le matin. On n'a cependant jamais défini ce qui te faisait vibrer. Et c'est là qu'est la différence. Ce sont deux entités à part, qu'il ne faut jamais confondre. Me dit-il tout en sirotant sa bière.
- Les rêves sont réservés aux doux utopistes et la réalité aux gens pragmatiques. Et je ne suis ni l'un, ni l'autre. Finissais-je par lui répondre, pensant naïvement mettre fin à l'échange.
- C'est de quel auteur ? Demanda-t-il perplexe au vue de ses sourcils froncés.
- Ça peut paraitre un brin présomptueux, mais ça sort tout droit de mes profondes réflexions. M'amusais-je.
Il n'avait pas l'air d'avoir envie d'en rire. Il prit quelques secondes, installant ainsi le silence à notre table, pour se plonger dans ses pensées. Malheureusement, il m'était impossible d'en faire la lecture.
- Tu n'as jamais pensé à l'écriture ? Tu vis dans un univers pavé d'auteurs en tout genre, tu ne peux pas me faire croire que ça ne t'ai jamais traversé l'esprit ? Dit-il, tout en relevant la tête, afin d'y encrer ses yeux dans les miens.
Il rendait la tâche laborieuse et difficile. Pourquoi fallait-il qu'il vise juste à chaque fois ?
Note de l'auteur :
Aie, en ce moment je ne suis vraiment pas régulière et j'espère que vous ne vous lassez pas de mon histoire [et de moi et mon irrégularité chronique!]
Je reviens avec un chapitre et le deuxième est déjà quasiment terminé. Donc logiquement, il devrait arriver d'ici ce week-end.
J'ai vraiment envie de finir cette histoire. Vous êtes partantes ?
Bises,
Em.
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20 ans et quelques | Terminée |
ChickLitEmma a 25 ans et traverse les méandres de la crise du quart de siècle. Obstinée à ne pas voir l'éléphant dans la pièce, elle continue son chemin se heurtant souvent à l'ennui et aux regrets en tout genre. C'est sans compter l'aide de ses amis, une r...