Ben continuait de me fixer avec incrédulité, observant mes gestes avec précision. J'attrapais une olive que je vins caler entre mes dents, faisant tourner le pied de mon verre à nouveau rempli. Ma nervosité était palpable, si bien que je mordais l'intérieur de ma lèvre frénétiquement. Même si j'avais voulu masquer mon trouble, tout en moi me trahissait. Je prenais le temps de mâcher ce que j'avais en bouche, cherchant des brides de mots qui pouvaient introduire ce que je m'apprêtais à déblatérer.Quand le silence prit trop de place, je décidais de le rompre, me lançant alors dans un déluge de paroles, comme si trop longtemps j'avais tu ma morosité au profit du semblant.
- Je suis l'opposée de ce à quoi j'aspirais il y a encore quelques années. Je souffle le chaud et le froid dans la même journée, incapable de m'assurer que ce que je pense est une absolution totale. J'ai perdu la foi, d'abord parce que je ne crois plus en rien, aussi parce que je ne crois plus aux autres. Je déteste la lucidité, parce qu'elle me fait dire des choses qui ne sont pas fondées, mais qui pour moi balayent pourtant tout ce qu'il y a de positif autour. Je défie quiconque de s'attacher à moi. Je détruis tout ce que je touche parce que je ne sais pas faire d'efforts. À quoi bon ? Tout le monde finit pas se lasser de tout le monde. Les relations sont devenues des biens de consommation. Tout est remplaçable par quelque chose ou par quelqu'un. Agite une promo sous ton nez, demain je ne serais plus qu'un vague souvenir ! Et c'est ainsi, la plupart du temps cette hypothèse se vérifie. Tu auras beau scander ta différence, au fond on est tous pareil. Et je trouve ça moche...
Je repris un instant mon souffle pour poursuivre.
- Je voulais travailler dans l'édition, parce que j'aime les livres et ce que ça me fait ressentir à la lecture de deux, trois phrases bien tournées. La créativité est étouffée dans l'œuf, parce que tu n'es pas là pour penser mais pour appliquer ce qu'on te demande. J'aurais beau trouvé ça injuste, si je ne suis pas satisfaite quelqu'un d'autre prendra ma place. Et je subirais à vitam et æternam, les choix qui ne sont pas les miens. Alors on a beau dire que se faire des opinions c'est important, franchement à quoi ça sert, personne ne te demandera jamais ton avis ! Tu es un cheval de course, dans un milieu régit par des tas de processus qui polluent l'authenticité qui subsiste encore. Et je me déteste de porter de l'importance aux gens qui me font me sentir comme une merde. Mais va en parler à n'importe qui, on te répliquera que c'est la vie. Et je n'arrête pas de me dire que je n'ai jamais signé pour ça ! Alors, tu vois, tout ce qu'il en reste de mes rêves, c'est des débris d'aspiration ridicule.
Je repris à voix basse.
- Voilà, ça c'est comment je vois les choses, j'imagine que ça en dit long sur le genre de personnes que je suis.
Avant que je ne puisse rajouter quoique ce soit, non pas que l'envie ne me vint, Ben me gratifia d'un merci. J'en fus la première surprise. Mon visage dû me trahir, car il se reprit :
- Merci pour la franchise, Emma. Je pense que c'est de loin ce que j'ai entendu de plus authentique ces derniers temps. Argua t-il, un sourire satisfait aux lèvres.
Il venait de faire ressortir des axiomes enfouis. Je ne savais pas si je pensais véritablement la moitié de ce que j'avais dit, ou si c'était l'atmosphère de l'instant qui m'avait propulsé dans une faille personnelle, mais ça m'avait fait un bien fou.
Il prit ma main alors posée sur la table et y déposa un baiser doux, qui me fit tressaillir prodigieusement. Ni une, ni deux, il m'invita à me lever, déposa quelques billets sur la table et m'entraina au loin.
Je n'eus pas le temps de me rendre compte de ce que nous étions entrain de faire quand il colla ses lèvres aux miennes, au beau milieu de la rue. D'abord chancelante, je ne pris pas la mesure de l'événement. Quand, mes esprits décidèrent de revenir à moi, je lui donnais enfin le change. M'empressant de goûter à sa bouche avec autant de véhémence que possible. C'était un moment hors du temps. Son baiser se fit plus pressant, m'obligeant à retenir mon corps en entourant son cou de mes deux bras.
Note de l'auteur :
Chapitre ultra court, pour annoncer la suite des événements.
J'espère que ça vous aura mis l'eau à la bouche en attendant :)
Bises,
Em.
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20 ans et quelques | Terminée |
Chick-LitEmma a 25 ans et traverse les méandres de la crise du quart de siècle. Obstinée à ne pas voir l'éléphant dans la pièce, elle continue son chemin se heurtant souvent à l'ennui et aux regrets en tout genre. C'est sans compter l'aide de ses amis, une r...