L'air de défit que je posais soigneusement sur Milo, le laissait pantois. Mais je connaissais suffisamment le phénomène pour savoir qu'il ne perdait jamais longtemps de sa contenance. Je voyais devant moi, les têtes ahuries de Zoé et Axelle. Mécontentes sûrement d'être sans le vouloir propulsé dans un combat pour lequel personne n'avait signé.
Je n'appréciais guère qu'on me vole des instants de sérénité culinaire au profit des intérêts de chacun. Aussi, la présence de Milo et mon relent d'amertume avait attendu le dessert pour laisser de la splendeur à mes missives.
Les bras croisés sur la table, Milo me dévisageait sans plus aucune forme de discrétion. Je comprenais par habitude, qu'il sondait mes expressions pour savoir si je cachais au fond de ma verbe une quelconque forme de cynisme sensée relever de l'humour. Mais il n'en était rien. Et il le savait.
- C'est marrant, Emma. J'aurais pu te poser la même question. Me sifflait-il. Un sourire narquois au bord de ses lèvres.
Axelle et Zoé retenaient leur souffle. Bien qu'au cours de nos nombreuses années d'amitié, elles avaient acquis une certaine expérience dans les échanges poussifs que Milo et moi étions capables d'avoir, elles n'en restaient pas moins sur le qui-vive.
Dans un silence clérical, j'entrepris de me servir un énième verre de Bourgogne Blanc, pour être bien certaines d'apprécier mes remontrances dans une classe certaine. C'était évidemment du snobisme à l'état le plus brut.
- Je me moque des gens qui ne donnent pas de nouvelles pendant des semaines et qui rappliquent quand ils ont besoin de toi. Je me moque des gens qui ont tendance à faire de leur nombrilisme une véritable institution si bien qu'il est impossible de savoir ce qui les préoccupent plus que leurs abjectes personnes. Je me moque des gens qui s'imaginent quand ne s'excusant jamais de leurs maladresses, on va finir par leur pardonner. Je me moque des gens qui cachent des informations de leur plein grès en jurant fidélité et loyauté au quidam assez con pour décider de les croire. Et enfin, je me moque des gens comme toi, qui oublie d'où ils viennent et grâce à qui ils s'en sont là.
Mon récit m'avait donné une soif d'enfer, qu'aucun Chablis n'eus pu combler.
- Ton problème Emma, c'est qu'à ton âge, on n'excuse moins tes caprices d'enfant gâtée. Répliquait-il aussi sec.
Oh, tient. Je dus piquer à vif son égo pour qu'il me balance cette vérité qui n'en avait jamais été une. Et ça aussi, il le savait.
Axelle et Zoé s'étaient levées de table, s'empressant à la hâte de débarrasser ce qu'il restait à table. Je ne pouvais pas leur en vouloir, déguerpir me semblait être une solution enchantée quant à la suite de cette discussion, si je pus appeler cela ainsi.
Je profitais alors que nous soyons seuls avec Milo, pour répliquer.
- Est-ce que je pourrais au moins savoir pourquoi tu as jugé bon de ne rien me dire quant à la situation de Louis ? Et pourquoi il a fallu que j'apprenne le scoop de la bouche perfide de cette conne de Salomé ? demandais-je, une pointe agacée.
Milo me toisait de toute sa superbe. J'aurais juré l'avoir vu sourire.
- Alors c'est ça... Me dit-il. Le ton calme qu'il empruntait alors, me laissait quelque peu sur mes gardes.
Je le questionnais du regard, les mains levées au niveau de mes épaules, dans un état stupide d'ahurissement.
- Oui Emma, je ne te l'ai pas dit. Et tu sais pourquoi j'ai trouvé que c'était mieux de me taire ? Parce que regarde-toi... Tu aurais pris cette information comme un pavé dans ton égo. Et je voulais t'éviter cela. Qu'est-ce que ça aurait changé hein ? Louis, tu n'en parles jamais. C'est comme si c'était un tabou, un secret de famille, une relique qu'on souhaite verrouiller dans un placard à double tour. Tu faisais mine d'être au-dessus de la mêlée. Je n'ai pas voulu soulever une énigme que tu prends grand soin de perfectionner de semaine en semaine.
Effarée, je trouvais son explication culottée.
- Et puis arrête de m'en vouloir pour quelque chose que je n'ai pas fait. S'époumonait-il.
- Comment ça ?
- Arrête de prendre chaque silence pour un abandon, de penser que tu es remplaçable parce que c'est comme ça que tu vois les choses. Arrête ton sarcasme et ta vision binaire. Arrête de me demander d'être pour toi celui que je ne serais jamais. Je ne suis pas parfait Emma. Et surtout, je ne suis pas Louis.
- T'es pareil que lui. Vous prenez le bon chez les autres et après vous partez la caisse pleine. Tu n'es peut-être pas Louis, mais vous valez la même chose lui et toi.
- Putain, Em. Ouvre les yeux. Tu vas droit dans le mur, et ce coup-ci je ne peux rien y faire. Tant que tu en voudras au monde entier, des erreurs que toi tu as faites, on aura éternellement ce débat stérile entre nous. Mais un jour, tu me fatigueras assez pour que je te tourne le dos.
Je restais interdite face à ses dernières déclarations. Comment diable en étions-nous arrivés là ?
Milo prit sa respiration tout en me balançant un dernier coup derrière la tête.
- Et puis, change de boulot Emma. On ne peut pas dire que ce soit une réussite pour toi. Quand je t'ai connu, tu avais assez de créativité pour deux. Je me demande vraiment ce que t'en as fait au profit de tout ce gâchis ! Encore une fois, ne prends pas pour responsable ceux qui n'ont rien à voir là-dedans. Moi, et Louis compris.
Game over, fus la pensée qui traversait mon esprit à ce moment précis.
Milo prit à la hâte l'ensemble de ses affaires et avant même qu'il ait claqué la porte de mon petit appartement, Axelle refit surface de la cuisine dans laquelle elle s'était réfugiée avec Zoé.
C'est avec une pointe d'amusement qu'elle se mit à nous questionner.
- Alors, qui a gagné le match ? Pouffait-elle.
- On dirait bien que c'est moi, cette fois-ci. Fut la réponse de Milo.
La seconde d'après, la porte se refermait avec fracas. Me laissant debout dans mon salon, bien consciente d'avoir mérité en partie la défaite.
Note de l'auteur :
Quand je relis ce chapitre, le seul mot qui me vient en tête c'est : "aie".
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20 ans et quelques | Terminée |
ChickLitEmma a 25 ans et traverse les méandres de la crise du quart de siècle. Obstinée à ne pas voir l'éléphant dans la pièce, elle continue son chemin se heurtant souvent à l'ennui et aux regrets en tout genre. C'est sans compter l'aide de ses amis, une r...