L'oracle

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Les contours sombres de la côte Ivishoise se decoupaient sur le lugubre tableau d'une nuit faiblement éclairée. Plusieurs sentiments se mêlaient en Ken. L'appréhension des rencontres qui l'attendaient de l'autre côté des flots se disputait avec le soulagement de terminer enfin cette traversée. En découvrant leur embarcation, Ken avait ressenti une certaine angoisse à l'idée d'effectuer une traversée maritime à bord d'une pirogue. La jeune voleuse avait balayé ses craintes vis à vis de leur embarcation par un haussement d'épaules avant de se hisser à bord. Leur navire comportait deux éléments; la pirogue, tronc d'arbre creusé, long, étroit et équipé d'un mât, et un balancier sur la gauche. Le tout était relié par des traverses et de grossiers cordages. Ken fut tenter de rebrousser chemin et d'embarquer sur le Bart mais l'idée d'être pourchassé par Cornélius le ramena à la raison. Il adressa une prière à Hélice déesse des vents afin qu'elle les préserve d'une tempête sous le regard amusé d'Alicia. Même si la jeune femme s'était avérée être une navigatrice hors pair Ken n'avait su se défaire de cette sensation de malaise dans ce navire minuscule face à l'immensité liquide les entourant. Quatre jours après leur évasion d'Argolia, il s'étonnait toujours de n'avoir pas prématurément terminé son voyage au fond de l'océan ou à la dérive sur ce monde mouvant et sans repères. Mais ils n'avaient pas eu de gros temps et avaient navigué paisiblement. Peut-être les dieux veillaient ils sur eux.
Seuls sur ce frêle esquif, les deux voyageurs avaient fait plus amples connaissances. Parler était de toute façon leur seule occupation pour tromper le silence aquatique qui les entourait. Silence que, à cette heure nocturne, seuls le claquement de la voile triangulaire et le clapotis des vagues sur la coque venaient troubler. Alicia modifia son cap et dirigea la pirogue à balancier vers les terres. Ken admira une fois de plus la compétence de sa jeune partenaire et mesura l'abîme qui les séparait tous les deux. La jeune femme mena le bateau de pêche dans une crique baignée par la lueur blafarde d'un croissant de lune. Hors le morne ballet des vagues s'échouant sur une plage et refluant, aucun mouvement n'était perceptible. Le jeune homme se désespéra devant cette triste impression de déjà vu. Il sauta dans l'eau et tira l'embarcation sur la grève. Derrière lui, Alicia bondit à son tour sur le rivage et déchargea le peu d'affaires qu'il avait réussi à sauver de leur plongeon à Argolia. Une brise chaude courrait depuis les terres et s'élançait vers l'horizon.
- A présent, même s'ils n'ont pas crut à notre mort ils auront du mal à retrouver notre piste.
- Sauf si Cornélius s'est rendu compte que tu lui as dérobé son diadème.
- Il ne pourra le découvrir que lorsqu'il se trouvera devant la porte de sa caverne. Pour l'heure il doit avoir tant à faire avec les Guildes que nous sommes le dernier de ses soucis. Ça nous laisse suffisamment d'avance pour disparaître.
La proximité, le partage des provisions d'Alicia et du fruit de leurs pêches avaient instauré entre les deux voyageurs un sentiment de respect et une certaine confiance qui aurait pu s'apparenter à l'amitié. Ken avait très vite cessé de voir la jeune fille comme une adolescente écervelée à l'écoute du récit de ses aventures. Elle avait suivit et observé Cornélius sans répit et sans que ce dernier ne se doute de quoi que ce soit. L'assassin était un mystère. L'homme était peut-être le plus âgé de tous les Argolides. Certains disaient même de lui qu'il était centenaire. Malgré le nombre élevé de contrats qu'il avait réalisé il vivait toujours dans une bicoque minable d'Argolia. Puis un jour, pour des raisons qu'Alicia ne révéla pas, il avait coincé la jeune voleuse en dehors de leur île. La jeune femme avait réussit à fuir sa colère en laissant derrière elle une cassette contenant cent mille Kars. D'abord effrayée, puis intriguée Alicia décida de se faire discrète sur l'île tout en observant Cornélius à son insu. Dès lors elle n'avait eu pour seul objectif que percer les secrets du vieil homme afin de retrouver son bien. Ça lui avait pris du temps, énormément de temps. Mais à la fin elle avait fini par localiser l'abri de Cornélius. Elle ignorait totalement ce que recelait l'antre de l'assassin faute d'avoir pu y pénétrer. Mais le vieil homme ne s'était pas entouré de tant de précautions et de secrets sans raisons.
A présent elle possédait la clé et s'approprierait bientôt toutes les richesses de Cornélius. Elle tiendrait par là même occasion sa revanche sur lui.
- Tu comptes toujours mettre la main sur ce fabuleux trésor qui n'existe peut-être pas.
Alicia sourit.
- Il existe. J'en suis sûre. Et toi ? Que comptes-tu faire, maintenant ?
- Poursuivre ma route vers Tilesh, fit Ken.
- Alors longe la plage dans cette direction. Tu apercevras sur ta droite un chemin qui grimpe dans les falaises. Prends garde. Il s'agit d'une très ancienne piste qui n'est plus très fréquentée. De temps à autre elle disparaît. En ce cas suis la direction des mousses au pied des arbres. En marchant bien tu devrais arriver demain à Tilesh.
- Combien de vies as-tu vécu pour savoir tant de choses ?
- Si tu avais passé dix ans au sein de la guilde des voleurs tu en saurais autant que moi. Une bonne voleuse doit toujours être en mesure de semer ses éventuels poursuivants et de s'orienter où qu'elle soit. Pour ça on nous apprend à déchiffrer les cartes dressées par les Maraudeurs. Et la guilde dispose d'exemplaires d'une précision rare.
- Peut-être aurais-je dut m'instruire auprès de ton maître, laissa échapper Ken.
- S'il n'y avait cette fortune qui m'attendait, j'aurais pris le temps de percer votre secret messire Ken, releva Alicia souriante.
Le Kanais sourit à son tour.
- Alors je suis heureux que vous ayez un emploi du temps si chargé, dame Alicia. Bonne chance.
- Que Numéris t'accompagne !
Les deux fugitifs se serrèrent la main. La jeune femme regagna son embarcation. Ken la poussa dans les flots puis la regarda lentement s'enfoncer dans la nuit. Elle disparu derrière une falaise, avalée par les ténèbres. Sur le bateau, Alicia avait révélée n'avoir que seize ans. Elle partait pourtant à la conquête du monde sans que rien ne sembla l'effrayer, ni pouvoir l'arrêter. Aucun enfant de Kan n'aurait put quitter son domicile et tenter ainsi une aventure aussi incertaine que périlleuse. Étrangement, malgré les dangers qu'elle courait, Ken ne s'inquiétait pas du sort de sa jeune compagne. Il se surprit à penser que des deux elle était certainement la mieux armée mentalement, la mieux préparée à affronter ce monde. Après un dernier coup d'œil à la mer, il s'engagea dans la direction de Tilesh.

CHRONIQUES DE PANGEA I: L'ASSEMBLÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant