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Cela fait quelque temps que l'esprit de Joshua semble s'être complètement vidé.

Joshua n'a pas grandi pour devenir un traître - il s'est toujours servi de sa religion comme une base solide pour éviter d'être le méchant de l'histoire. Dans les moments de doute, il s'est toujours tourné vers Dieu. Il s'agenouillait devant sa fenêtre et murmurait une prière, ne doutant pas une seconde de sa foi. C'est sûr, tout là haut, il y a au moins quelqu'un qui m'entend.

Cependant, en grandissant, il a compris qu'il n'y a jamais de méchant dans l'histoire et que la vie est plus compliquée que ça ; qu'il peut être perdu même après avoir lu ses versets préférés cinq fois de suite. En se regardant dans le miroir ce matin, il a l'impression d'être un traître. Il n'a même plus envie de s'en remettre à dieu - il a trahi le seigneur, certes, mais il a aussi trahi Jeonghan et Seokmin. Il passe de l'eau sur son visage plusieurs fois mais tout est toujours aussi trouble. Il a reçu un message de Jeonghan il y a quelque temps. "J'espère que Seokmin embrasse bien". Il n'a même pas trouvé le courage d'y répondre, s'effondrant sur son lit, frappé de plein fouet par ces mots qui semblaient lui transpercer la poitrine. Depuis, il a du mal à manger, du mal à marcher droit, du mal à parler - mais il faut vivre.

Il enfile son uniforme et sa casquette rouge avec le regard vide, et commence sa journée plus que banale. Travailler l'été dans une pizzeria n'était sans doute pas le travail que Dieu attendait de lui - mais il faut payer les factures, et ce job lui permet au moins de ne pas trop penser. Il range des cartons, fait la plonge, et s'abandonne dans ces tâches machinales.


Nous arrivons à la mi-juillet. Seokmin, dans l'espoir d'augmenter ses chances de réussir ses études, prend des cours d'anglais le soir à son université. Pendant la journée, il lui arrive très souvent de penser à Jeonghan, à Joshua et cette fameuse soirée où ils se sont embrassés ivres, mais il lui arrive aussi d'avoir faim - c'est pourquoi il vient récupérer la pizza qu'il a commandé dans la pizzeria du coin. Il espère noyer ses doutes dans la nourriture, et lorsqu'un serveur avec une casquette rouge lui tend le carton, il se sent un peu plus apaisé. Ce matin, à la garderie, il ne pouvait pas s'empêcher d'imaginer les effluves d'une quatre fromages, ce qui l'a quelque peu distrait de son travail avec les enfants. Ces bambins sont adorables, mais la nourriture semble plus douée pour panser des problèmes de coeur.

Une fois rentré chez lui, la pizza ne demande pas son reste: Seokmin, vorace, avale tout en quelques minutes. Puis il se laisse tomber dans ses pensées en regardant le plafond, allongé sur son lit, presque aveuglé par la lumière de ce jour ensoleillé. Ses jambes brûlent presque tant la lumière est chaude. Il se demande s'il devrait contacter Jeonghan, lui envoyer un message, ou juste laisser cette histoire là où elle semble s'être achevée - tenter d'oublier ce garçon, son audace, ses chemises blanches et ses grands yeux noirs.

Il finit par s'endormir en écoutant de la musique. Du jazz, plus précisément.

Quand il se réveille, il est quinze heures - il lui reste encore un peu de temps avant ses cours du soir, alors il enfile un nouveau tee shirt (blanc, et toujours trop grand pour lui), sa paire de vans et se dirige vers la rivière, ses écouteurs vissés dans ses oreilles. L'air est empli de souvenirs - Seokmin avait sans doute manqué à la rivière Han. Tous les sons de l'extérieur sont bloqués par la musique, et le jeune homme se retrouve ainsi amputé d'un sens. Il n'a plus que ses deux yeux et ses deux mains pour ressentir cet extérieur qu'il commence à bien connaître.

Quand il s'assied sur le banc, il imagine Jeonghan assis à côté de lui, lui posant une série de questions toutes plus incongrues les unes que les autres. Il le visualise parfaitement - il porterait sans doutes des lunettes rondes, et regarderait Seokmin comme si ce dernier était l'homme le plus intéressant du monde. Puis il se dit d'oublier vite tout ça! Qu'il ne reverra jamais Jeonghan de toute façon! Et puis, il faut être honnête, revenir vers la rivière et regarder l'eau avec des yeux bientôt pleins de larmes n'est pas la bonne façon de se débarrasser de ces pensées qui lui reviennent sans cesse.

La rivière est triste de voir son deuxième enfant penaud, mais elle doit se rendre à l'évidence: maintenant, il faut que les deux âmes se rencontrent ici à nouveau pour que cet endroit autrefois paisible retrouve son harmonie.

Alors lentement, Seokmin se dirige vers le métro. Une fois assis dans ce train si sombre, il regarde le sol et essaie de faire le vide dans sa tête - mais tout revient inéluctablement à Jeonghan et Joshua. Tout revient à ce baiser à la saveur d'alcool dans cette boîte de nuit étriquée qui sentait la sueur et la liqueur, ce baiser qu'il n'a pas voulu. Il tente de regarder son téléphone: pas de notifications. Jeonghan est encore dans ses contacts, mais il fixe l'écran avant d'être rappelé à la réalité: il est arrivé à sa station.

Il marche vers son université - toujours ces mêmes cours du soir où il espère plus améliorer son anglais que de faire des nouvelles rencontres. Il voit des corps mais pas des personnes, des visages mais pas de personnalités.

Seokmin s'est, en fin de compte, fait assez peu d'amis en entrant à l'université, excepté un étudiant chinois, Minghao, qui pour une raison obscure s'installait toujours à côté de Seokmin dans l'amphithéâtre. Le côté artiste et la passion pour la mode de l'étudiant, qui emmenait toujours Seokmin dans des friperies après les cours, avait tout de suite collé avec la personnalité lumineuse et pleine de curiosité de Seokmin. Mais depuis la fin des cours, il ne lui parle plus vraiment. Minghao fait des efforts pour lui parler en coréen, et Seokmin fait des efforts pour lui parler en chinois, mais la communication devient assez difficile lorsqu'il s'agit de s'envoyer des messages sur kakaotalk.

En s'asseyant à sa place habituelle dans l'amphithéâtre, Minghao n'est pas là - bien sûr, ce dernier a profité de cette période estivale pour retourner auprès des siens en Chine. Le jeune homme, avec son sourire si communicatif, ses cheveux qui mériteraient un coup de ciseaux, et ses lunettes rondes, manque bien sûr à Seokmin.

Ce dernier est complètement fixé sur ses pensées (je devrais vraiment envoyer un message à Minghao un de ces jours en lui demandant de m'envoyer des photos de sa famille ou de ses dessins) jusqu'à ce qu'il remarque un autre garçon qui s'est assis juste à côté de Seokmin. Il est immense - Seokmin jauge sa taille autour du mètre quatre-vingt-cinq - et très beau aussi.

- Salut, dit le garçon, qui semble avoir un peu perdu de son sérieux. Sa voix est très grave. Il porte un tee-shirt bleu clair enfoncé dans un pantalon noir avec une ceinture.

- Salut. Moi c'est Seokmin, dit-il avec un sourire.

- Mingyu, enchanté.


han river ; seokhanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant