Chapitre 12 (2/2)

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Pierrick et Aloïse se tenaient sur le seuil, les yeux ronds à la vue de Mia.

— Que... Comment es-tu entrée ? s'exclama le vieux mage, après avoir promené son regard sur la petite pièce pour vérifier qu'elle était seule.

Aloïse, elle, avait le regard fixé sur le carnet au sol. Dans ses yeux d'un noir de jais, Mia lut la surprise, qui se mua en effroi, puis en ressentiment.

— Tu n'es pas autorisée à entrer ici, encore moins sans mage à tes côtés, assena la mage à la peau sombre.

— Je voulais te parler, se justifia Mia en se tournant vers Pierrick. Je pensais te trouver ici, mais tu n'y étais pas.

Les deux mages échangèrent un regard sceptique face à ce demi-mensonge. Un silence pesant s'installa, le temps que Mia réalise que les deux mages s'étaient figés, le regard lointain. Un instant après, ils retrouvèrent leur état normal.

— Sortons, déclara Pierrick. Tu me diras pourquoi tu me cherchais.

Mia, interloquée par leur comportement, le suivit en dehors de la pièce. Ils s'assirent dans un recoin de la grotte. Mia déglutit face au regard perçant de Pierrick.

— Que veux-tu savoir ? s'enquit-il.

— Je voulais... que tu me parles de mes parents.

Le vieux mage ne s'attendait sûrement pas à cette question. Il eut un soupir et ferma brièvement les yeux, alors que ses souvenirs douloureux refaisaient surface.

— Tu es l'unique personne vivante qui les as le mieux connus, insista Mia. J'ai besoin d'en apprendre plus sur eux. Comment était mon père quand il a été envoyé chez vous ?

— C'est parfaitement normal que tu veuilles des informations sur tes parents, admit Pierrick. Malgré le temps qui s'est écoulé, je me souviens de ces moments comme si c'était hier. J'ai rencontré ton père quand il n'était qu'un adolescent, envoyé avec son frère jumeau dans notre communauté. C'était un jeune homme avide de liberté que l'idée d'être roi répugnait à l'époque. Cependant, son séjour l'a profondément changé, alors qu'il comprenait peu à peu les enjeux des relations entre mages et non-mages. La magie le passionnait, il se renseignait inlassablement dessus auprès d'Aldwin, son principal tuteur. C'était son point commun avec Jarle.

Mia se tendit à l'entente du nom de son oncle. Voyant qu'elle attendait la suite de son récit, Pierrick continua :

— Bien qu'ils ne fussent pas proches, Jarle et Martian avaient des relations plutôt cordiales. Il est étonnant qu'ils ne se soient pas détestés dès le premier jour, tant la concurrence que créa volontairement leur père, Edouard, était forte. Ce fut seulement à partir de l'intronisation de Martian que les dissidences se firent plus concrètes, les désaccords plus âpres. Jarle clamait une politique stricte envers nous, ce qui ne l'a pourtant pas empêché de s'allier à des renégats pour détrôner ton père...

— Alors qu'il a vécu avec vous et a connu vos conditions de vie ! Pourquoi ?

— Tous les mages ne sont pas pacifiques, soupira Pierrick. À la suite de la guerre, beaucoup ont adopté un fort ressentiment à l'égard d'Irlondor. Ils avaient le sentiment que leur propre patrie les avait reniés. Des tensions et des incidents avaient lieu, qui n'étaient que des actes isolés, mais ils ont encore plus éloigné les mages du reste de la population. Jarle a, je pense, été brisé par le choix d'Édouard, qui lui préféra Martian en tant que roi. Il s'est servi de la haine et peur des Irlondoriens envers les mages pour fomenter son accès au trône.

Après un court moment de silence que Mia n'osa rompre, Pierrick reprit :

— Ta mère, Anesha, était une princesse d'Almar, d'une fratrie de trois enfants. Son frère ainé Mahakrin étant destiné au trône, elle fut promise après la guerre à ton père, dans l'idée de renforcer les liens entre les deux royaumes en ces temps troublés. Elle t'a légué sa peau ambrée, sa chevelure bouclée, mais tu as les yeux émeraude de ton père.

— Je me souviens que j'essayais de me l'imaginer, quand j'étais plus jeune. Etaient-ils proches, mon père et elle ?

— Je ne vais pas te mentir, leur relation fut compliquée. Ton père devait s'adapter à son nouveau rôle de monarque, et à la fois accepter la tenue d'un mariage dont il ne voulait pas. Ta mère avait aussi un caractère fort, qui rendait leurs désaccords fougueux. Cependant, leurs rapports se sont faits plus bienveillants au cours du temps, qui fut malheureusement bien court.

— Mon père ne parlait jamais de sa mort.

— Tu n'aurais pas été en âge de comprendre. Elle est décédée peu après ta naissance, Mia. L'accouchement fut rude, et la laissa affaiblie.

Mia accusa l'information, un mélange de tristesse et culpabilité instillé dans ses veines. Elle savait que sa mère était morte quand elle était un jeune enfant, car elle ne gardait aucun souvenir d'elle, mais elle ne se doutait aucunement qu'elle était morte en lui donnant naissance.

— J'aurais tellement voulu les connaître plus...

Compatissant, Pierrick lui pressa l'épaule. Cependant, il reprit vite un air sérieux et ferme.

— À présent, j'aimerais que tu m'écoutes attentivement. Ton escapade ne doit pas se reproduire. Si j'ai pleine confiance en toi, ce n'est pas le cas des autres mages, tu le sais. Je vais convaincre Aloïse que ton incartade ne doit pas être révélée, mais ne recommence pas. L'équilibre d'Adylis en dépend.

— Je me tiendrai tranquille, je te l'assure.

— Je compte sur toi. Je vais rejoindre Aloïse, tu peux attendre ici Elihan, il ne tardera pas pour ta prochaine leçon.

Il se dirigea vers la salle du Conseil, ou l'attendait la mage, le visage davantage fermé. À peine Pierrick eut-il passé le pas de la porte qu'elle brandit le petit volume.

— Elle l'a trouvée. La lettre, expliqua-t-elle. La couverture de mon carnet a été déchirée.

— Je m'en doutais quand je l'ai vu à terre.

— Et donc ? Nous allons rester les bras ballants ?

— Ce bout de parchemin ne contient aucune information déterminante, ou du moins pas explicite.

— On ne sait pas combien de temps elle a eu mes écrits en sa possession. Qui sait ce qu'elle aurait pu lire d'autre !

— Je suis d'accord, mais elle finira par apprendre la vérité à son sujet. Plus tôt cela aura lieu, mieux elle pourra se préparer.

— Tu prends de gros risques, reprocha la mage. Aldwin et Lénor devraient en être informés.

— Ils sont dans les préparatifs de la rencontre avec le baron Osberd. Cela peut attendre. Dans tous les cas, Mia doit commencer à se rendre compte de ses futures responsabilités. Mais pour cela, elle doit en apprendre plus, sur ses pouvoirs ou la prophétie.

— La prophétie est et demeurera incertaine, assena Aloïse. On devra contrôler ce qu'on lui révèle. Mais il n'y a pas que ça. Comment a-t-elle pu entrer ?

— Je n'ai que des hypothèses aussi invraisemblables les unes que les autres. Mais le temps nous est compté, évitons de nous disperser dans ces questionnements.

— Je ne lui fais pas confiance.

— Le contraire aurait été étonnant, soupira Pierrick. Mais cette méfiance vient-elle des bonnes raisons ?

La mage riva son regard acéré au sien.

— Qu'insinues-tu ?

— Aloïse... Il faudrait être aveugle pour ne pas le voir. Ce mélange de sentiments contradictoires dès que tu aperçois Mia, je l'ai remarqué. Tu n'es pas responsable de ce qu'il s'est passé, mais tu peux choisir de l'être pour notre futur. Et cela se fera en soutenant Mia, pas l'inverse.

Aloïse ne répondit pas. Elle fixa les pages du carnet que Mia avait trouvé, comme si elle n'arrivait à s'en détacher. Pierrick estima qu'il en avait assez dit, et quitta la pièce après un signe de tête qu'elle ne remarqua sûrement pas, avec l'espoir friable de l'avoir convaincue. 

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Bon, Mia s'en sort plutôt bien pour cette fois, mais il va être temps qu'elle se tienne à carreaux ! Avez-vous apprécié d'en savoir plus sur ses parents ?  Quelques idées sur la mystérieuse implication d'Aloïse ? Les théories et avis sont les bienvenus ;) 

Merci d'avoir lu !

L'Héritage d'IrlondorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant