Prologue (2/3)

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Miana perçut des cris, hurlements et fracas, qui la tirèrent de son profond sommeil. Elle sursauta et poussa un cri de frayeur quand la porte de sa chambre s'ouvrit à la volée. Son père venait d'entrer, entouré d'une demi-douzaine d'hommes. Son visage d'ordinaire rieur était crispé, et trahissait une grande inquiétude. Ses pires craintes s'étaient confirmées.

— Miana, écoute-moi. On va quitter le château au plus vite.

— Père, qu'est-ce...

— Fais ce que je te dis, je t'en prie, la coupa-t-il d'une voix anxieuse qu'il s'efforçait de maîtriser. Reste silencieuse.

Il la prit dans ses bras, et l'escorte sortit précipitamment de la pièce. Miana n'osait pas poser de question. Ses interrogations formaient déjà un imbroglio dans son esprit : pourquoi son père l'avait-il réveillée au milieu de la nuit ? Pourquoi courait-il comme si sa vie en dépendait ? Pourquoi les soldats de sa garde rapprochée avaient-ils l'épée au clair ?

Au loin, elle entendait des bruits confus de combats et des hurlements glaçants. Apeurée, elle ferma les yeux et se blottit contre son torse.

Le groupe parcourut un couloir sous les lueurs des bougies, puis arriva dans le salon sans encombre. Des fracas retentirent à l'extérieur. Ils semblaient se rapprocher inexorablement de la pièce. La porte s'ouvrit violemment. Un garde entra. L'air menaçant, il dégaina une épée de son fourreau.

Le combat s'engagea, danse macabre formée d'esquives, de feintes, d'offensives et de sang. Le traître avait péri, mais déjà un autre escadron le rejoignait. La garde rapprochée du roi redoubla d'efforts. Le nombre de corps jonchant le sol augmenta, puis vint l'accalmie pour les deux fidèles soldats encore en vie. Après avoir extrait son épée souillée de sang d'un cadavre, l'un d'eux s'exclama :

— Partez, Sire ! D'autres vont arriver, et il sera trop tard ! Il le faut, Irlondor ne doit pas tomber !

Martian le regarda fixement, avant de donner son assentiment. Les deux soldats firent glisser un lourd tapis, sous lequel était dissimulée une trappe. Avec un grognement, ils la soulevèrent, révélant un boyau sombre qui semblait s'enfoncer dans le cœur de la terre. Puis, dès que le roi s'y fut engagé, sa fille dans les bras, la trappe fut rabaissée d'un coup sec, et le tapis la recouvrit à nouveau. Un instant immobile, Martian perçut les bruits de cavalcades qui se rapprochaient du salon, et ceux des tintements métalliques qui s'ensuivirent, bientôt remplacés par d'ignobles hurlements. Ses hommes, en infériorité numérique, s'étaient fait décimer.

Martian secoua la tête pour reprendre ses esprits. Il savait que ce jour arriverait, mais il n'aurait jamais pu s'y préparer. Ce n'était pas qu'un seul homme... Sa propre armée l'avait trahi. Il espérait que son frère avait pu s'échapper, bien que les chances fussent minces.

La rage et la tristesse embrasèrent son corps, mais il devait se hâter. Pour Miana. Avant qu'il ne soit trop tard.

Le boyau n'avait été emprunté que très rarement. L'air se faisait de plus en plus humide tandis qu'ils dévalaient les marches, dans un silence teinté d'angoisse. Quelques instants plus tard, ils débouchèrent dans une chambre, où reposait une part importante des richesses d'Irlondor. Martian évita les coffres remplis d'or et joyaux pour se diriger vers le fond de la pièce. Il déposa Miana au sol et, ahanant, déplaça une armoire boisée, qui révéla un couloir obscur. Ils l'empruntèrent pour aboutir dans une crique. Des barques vieillies par le temps, leur unique échappatoire, étaient amarrées.

Le roi avisa ensuite les torches flamboyantes, accrochées aux parois. Il comprit alors : quelqu'un était arrivé avant eux. Le glissement d'une lame hors de son fourreau confirma sa pensée. Il eut juste le temps de lâcher Miana et de tirer son épée au clair pour parer de justesse l'offensive de son adversaire, qui avait bondi de l'aspérité dans laquelle il s'était dissimulé.

— Pars dans le bateau, Miana ! hurla-t-il, entre deux coups. Maintenant !

La fillette resta immobile, comme pétrifiée. Les exhortations de son père lui firent néanmoins reprendre ses esprits. Elle courut jusqu'à la barque, avant de monter avec précaution dedans, effrayée par l'instabilité. Elle ne détacha pas l'amarre : elle ne pouvait se résoudre à abandonner son père, aussi observa-t-elle le combat avec un mélange de peur et de fascination. Les deux adversaires paraient les coups, esquivaient les assauts et frappaient de toutes leurs forces. Leurs lames s'entrechoquaient dans un tintement assourdissant.

Martian sut qu'il allait devoir utiliser sa magie pour espérer vaincre. Canalisée dans son épée qui fut entourée d'un halo doré, elle rendit ses coups plus puissants et destructeurs. Mais l'opposant fit de même. Un mage lui faisait donc face. Les mages s'étaient-ils soulevés, infiltrés dans son armée ? Pourtant, les gardes renégats qu'ils avaient affrontés n'avaient pas fait preuve de magie. Et comment son adversaire avait-il pu découvrir cette issue ?

Le monarque para de justesse la lame acérée qui plongeait vers son cœur après une feinte. Il évacua ces pensées pour se concentrer dans l'affrontement.

Le combat était trop inégal, malgré la lutte acharnée de Martian. Son front couvert de sueur et ses muscles en feu témoignaient de sa faiblesse grandissante. La flamme de combativité qui l'avait animé commençait à se tarir. Sans armure pour le protéger, ses chances s'amenuisaient. Son opposant était aussi plus endurant. Son épée entailla profondément Martian à l'épaule puis à la cuisse, lui arrachant un cri. Le sang sortit à flots de ses plaies. Le roi boitait, ne parvenait plus à parer les coups et l'attaque suivante lui déchira le flanc.

Martian tomba à genoux. Il regarda sa fille dans les yeux, alors qu'il sentait ses dernières forces l'abandonner. Il avait échoué. Mais la vie de Miana devait être préservée. Il puisa dans ses dernières forces pour la sauver : l'eau s'anima soudain, et le canot fut embarqué par les flots. L'amarre se tendit et retint l'embarcation, qui tangua dangereusement et fit basculer Miana en arrière. Enfin, la corde rompit. Sonnée, la fillette se releva avec précaution et croisa le regard de son père. Profonde tendresse, infinie tristesse. Elle voulut le rejoindre, hurla son nom sans discontinuer, mais elle s'éloignait peu à peu de lui.

Martian s'écroula sur le dos, à l'agonie. L'assassin s'avança vers le roi, à terre, et brandit son épée. Après un instant de suspend quand les yeux de l'homme prostré à terre rencontrèrent les siens, il raffermit sa prise.

Au loin, Miana ne vit pas l'expression horrifiée de son père, ni ses lèvres qui remuèrent brièvement. Elle aperçut seulement la lame acérée qui plongea droit vers son cœur pour l'achever, et se sentit défaillir. Elle ferma les yeux et entendit seulement un terrible hurlement, tandis que le canot l'éloignait de son père, de l'assassin, de la mort.

Recroquevillée dans la barque, la fillette pleura toutes les larmes de son corps. Prise d'une violente crise de tremblements, elle rendit tripes et boyaux, avant de s'affaisser contre le bois. Ce fut avec un certain soulagement qu'elle laissa le néant l'engloutir, bercée par le roulis des flots.

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J'espère que ce deuxième chapitre vous aura plu !

N'hésitez pas à me donner vos impressions, votre avis et, pour les anciens lecteurs, à me dire les changements que vous notifiez ! :) 

Merci d'avoir lu !

L'Héritage d'IrlondorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant