Alors qu'ils sortaient de la salle, Mia aperçut Pierrick, qui entamait une discussion avec Aldwin et Aloïse. Il devait surement les informer de sa trouvaille dans la salle du Conseil. Mia se tourna sans attendre vers Ewann, avec qui elle s'éloigna. À la perspective angoissante du départ soudain succédait une interrogation.
— Qu'est-ce, la matérialisation ?
— Une action magique très coûteuse en énergie, mais qui permet de se déplacer dans un endroit connu en un instant. Il me tarde d'être à demain !
Mia l'observa, indécise. Était-ce du sérieux ou un des traits d'humour dont il avait le secret ?
— Ne te méprends pas, le fait de me voir vider de ma force ne m'enchante pas, mais je suis heureux de repartir enfin en mission. Avoir un but plus clair.
— Et pouvoir cesser de me chaperonner, s'amusa Mia.
— N'en sois pas si sûre, répliqua Ewann.
Il réprima un cri quand le poing de Mia rencontra son épaule, puis éclata de rire.
— Diantre, j'avais oublié que le moucheron avait de la force !
— Ce n'est qu'un aperçu de la leçon à venir, le menaça Mia, un sourire féroce aux lèvres.
Sans le savoir, Mia avait vu juste. Satisfait de ses compétences dans la création et le maintien de boucliers magiques, Elihan avait décidé de passer à l'étape suivante. L'offensive.
Quand Ewann et elle arrivèrent auprès d'Elihan, elle avisa l'épée courte et la dague que tenait le mage aux cheveux poivre et sel. Aussitôt, la lame rappela celles que maniait avec une dextérité impressionnante son ami Nataniel. Mais aussi un souvenir plus désagréable, quand elle avait dû pour la première fois s'en servir.
C'était après le premier vol qu'elle avait commis pour Nataniel. Alors âgé de onze ans, le jeune homme lui avait livré sa part, quelques piécettes, que Mia s'était empressée d'empocher, avant de rentrer à l'auberge, peu après l'aube. C'était la première fois qu'elle se retrouvait avec de l'argent en sa possession. Elle n'en avait jamais eu besoin dans sa demeure royale, à Oriem. Elle sortit donc toute la matinée, flânant dans l'immense marché qui faisait la renommée de Vorne. Elle satisfit sa faim par quelques grappes de raisin, et ne résista pas à l'achat d'une rose blanche particulièrement odorante pour Laria. Toute enjouée, elle ne se dit pas que Laria se demanderait comment elle se l'était procurée. Elle continua à déambuler dans la foule, qui finit par se tarir tandis qu'elle arrivait dans un endroit familier. Elle était dans les bas-quartiers, qu'elle fréquentait par les toits en pleine nuit. Elle ne s'était jusque-là jamais retrouvée seule, en plein jour, dans ces allées mal famées. Elle tripota nerveusement sa ceinture, à laquelle était accrochée sa bourse tintante, mais aussi une petite lame que lui avait donnée Nataniel. Elle allait rebrousser chemin quand on tira sa manche, la faisant sursauter.
Une fillette vêtue de guenilles et au visage noir de crasse lui souriait, les yeux humides. Elle porta la main à sa bouche, mimant de la nourriture, puis la tendit, paume ouverte. Mia fixa les yeux de la gamine, et se rendit compte qu'elle n'était pas plus âgée qu'elle. La détresse perçante qu'elle lut dans ses yeux la toucha, et l'amena à baisser les yeux vers son petit sac. Elle ne sut ce qui l'alerta. Un bruissement derrière elle, peut-être. Quand elle releva la tête, les lèvres de la fillette s'étaient retroussées en un rictus. La sauvagerie brillait dans ses pupilles. Mia bondit sur le côté et aperçut un garçon rachitique derrière elle, qui s'apprêtait à la frapper. Mais la fillette ne lui laissa pas le temps de s'éloigner. Elle se jeta sur elle, toutes deux roulèrent sur les pavés crasseux.
Mia réussit à libérer sa main gauche, alors que la droite luttait contre le bras de la gamine qui voulait écraser sa trachée. Elle s'empara de la mince dague et, tremblante, frappa son assaillante à l'épaule. Le sang jaillit, alors que la gamine poussait un glapissement. Mia profita de ce court répit pour la repousser et se relever, mais le garçon se précipita vers elle, avec un cri de rage. Mia n'était pas de ces enfants qui avaient grandi dans la rue, se forgeant leur personnalité par la force brute, leur seul rempart. Elle voulut esquiver le poing du garçon, mais elle vit trop tard le couteau qui fusa de son autre main vers elle et traça une estafilade sur son flanc. La douleur la fit crier. Elle devait à tout prix fuir. Alors que le gamin revenait à la charge, elle suivit son instinct, se baissa et lança sa lame quand celui-ci arma son offensive. Avec un sifflement, elle vint se ficher dans la cuisse de l'enfant, qui tomba à genoux. Aussitôt, Mia détala. C'était son unique chance. Elle entendit le cri rageur des enfants, mais pas de cavalcade. Ils n'étaient plus en mesure de la suivre. Dans sa tête se bousculaient des pensées sans lien logique. Sa lame perdue, fichée dans la cuisse d'un enfant plus jeune qu'elle. Sa blessure qui lui faisait extrêmement mal. Un mince filet de sang qui s'écoulait contre sa tunique. Elle avait besoin d'aide. Mais Laria ne devait pas savoir ce qu'il s'était passé, ou elle ne pourrait jamais ressortir. Le visage de Nataniel s'imprima dans son esprit. Il était le seul qui pourrait l'assister. Alors, elle se dirigea clopin-clopant, vers la forge dans laquelle il travaillait le jour. La rose blanche qu'elle avait destinée à sa tutrice gisait dans la ruelle, maculée de tâches pourpres. Ce jour-là, elle avait appris que la compassion pouvait coûter la vie, alors que l'indifférence était salutaire.
Mia secoua la tête pour revenir dans l'instant présent.
— J'ose espérer que tu n'auras pas à t'en servir, déclara Elihan après avoir remarqué son moment d'absence. Mais nous ne serons jamais trop prudents.
Si Mia avait quelques bases sur le maniement des couteaux, elle était cependant novice dans la canalisation de la magie. Elihan employa l'après-midi à lui enseigner comment canaliser sa magie dans un objet pour lui confier de nouvelles propriétés. Plus de puissance, de résistance, de précision... Les options et bénéfices étaient multiples. L'exercice, après quelques tentatives, se révéla plus facile qu'elle ne l'aurait cru. En effet, les objets offraient une plus grande facilité pour manier la magie par rapport à la création pure d'éléments magiques tels que les boucliers.
— Peut-on utiliser la magie sur des êtres vivants ?
— En effet, même si l'exercice est plus difficile étant donné qu'ils sont dotés d'une conscience et d'une capacité de décision propre.
— C'est ce que vous faites pour les oiseaux messagers, réalisa Mia.
— En effet. Mais pour cela, il est plus sage de créer un lien préalable avec l'animal, pour qu'il accepte la cohabitation de la magie en lui. Tu t'en doutes, il faut aussi avoir un nombre restreint d'éléments contrôlés à la fois, car cela consomme nos ressources magiques. Nous essaierons à ton retour, si tes progrès sont satisfaisants.
Enjouée par cette nouvelle perspective, Mia s'adonna à ses exercices avec encore plus d'application. Quand le soir tomba, elle rentra à la grotte éreintée, après qu'Elihan lui eut souhaité bonne chance pour son voyage. Mais le sommeil fut long à venir, sa rencontre à venir avec le baron occupait tout son esprit.
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J'espère que cette nouvelle petite leçon de magie et l'analepse sur l'enfance de Mia vous auront plu ! :D
Merci d'avoir lu !
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L'Héritage d'Irlondor
FantasíaLe royaume d'Irlondor, après une paix précaire, sombra à nouveau dans la violence et le sang. Survivant au coup d'État fomenté par son oncle, la princesse Miana, âgée de sept ans, est forcée de fuir. Recueillie dans un village du sud, elle se recons...