Chapitre 1

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Blanche était assise dans un coin de la salle, à l'écart de la foule endeuillée. Elle ne supportait plus les hypocrites qui étalaient leur malheur aux yeux de tous, espérant sans doute recevoir des condoléances.
Sa robe noire la serrait, et elle aurait donné n'importe quoi pour quitter cet endroit fermé et étouffant, pour retrouver l'air de la campagne. Sauf que c'était impossible, car elle était venue passer quelques jours à Paris avec sa famille pour l'enterrement de sa grand-mère, et mis à part un minuscule balcon qui donnait sur un grand boulevard pollué, il n'y avait aucune échappatoire à cet enfer.
"Je t'ai amené du jus d'orange."
L'arrivée de Baptiste, son meilleur ami, la fit sursauter.
"Merci, je n'avais pas envie d'aller au buffet.
- T'inquiètes pas, je suis fait pour ça, si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là."
Blanche jeta un regard noir à une femme assez corpulente habillée d'une longue robe noire, et arborant un lourd maquillage sombre, et dit, entre les dents:
"M'énerve celle là, deux heures qu'elle pleure alors que Mamina et elle ne se sont jamais entendues.
-Qui est-ce?
-Une de ses cousines éloignées...ma grand-mère ne pouvait plus la supporter. Une vraie hypocrite qui ne pense qu'à l'argent. Elle doit être en train de pleurer parce qu'elle ne va rien recevoir de l'héritage."
Son ton ironique, bien qu'empreint de tristesse, fit sourire Baptiste. Il l'observa un instant, ses cheveux bruns ondulés, cascadants sur ses épaules, ses yeux verts brillants d'une peine rebelle, ses tâches de rousseur sur le nez, et ses lèvres rouges. Chose exceptionnelle, elle avait accepté de porter une robe. Celle-ci mettait en valeur son corps d'habitude assez peu flatté par les jeans et les sweats qu'elle portait à longueur de temps. Elle avait troqué ses baskets pour une paire de bottes noires. Baptiste soupira. Elle était belle, très belle.

***

La famille finit par se retirer et Blanche resta seule avec son meilleur ami, ses parents et sa petite soeur Prune, dans le grand appartement de son oncle. Le frère de sa mère s'était proposé pour héberger les provinciaux durant trois jours, le temps de l'enterrement et de régler les dernières affaires administratives.
Elle était allée se coucher, avait retiré sa robe trop moulante et s'était glissée sous les draps. L'adolescente était épuisée mais ses yeux refusèrent de se fermer. Elle se tourna et se retourna durant des heures dans son lit sans réussir à s'endormir. Lorsque les chuchotements de ses parents et de son oncle dans le salon se turent, et que toutes les lumières furent éteintes, Blanche se leva, se faufila en silence dans le salon et se dirigea vers la porte fenêtre donnant sur le balcon. Elle sortit et s'appuya contre la rambarde de métal. L'espace était réduit mais c'était mieux que rien.
La nuit était tombée, l'air était doux, et le ciel dégagé. La circulation du boulevard s'était ralentie, et seules quelques rares voitures venaient déranger le silence. Il devait être deux ou trois heures, Blanche ne savait pas.
Elle leva les yeux vers le ciel, mais bien que dégagé de tout nuage, l'éclairage de la ville se reflétait dans l'obscurité. Les étoiles étaient masquées par la lueur jaune des réverbères, et elle se sentie prise au piège, comme si un esprit malfaisant venait lui ôter le peu de réconfort qu'il lui restait. Elle inspira une grande goulée d'air et le regretta aussitôt. L'air pollué emplit ses poumons et une quinte de toux la prit. Elle s'assit contre le mur, et pour la première fois depuis la mort de sa grand-mère, Blanche pleura. Elle laissa les larmes couler le long de ses joues, doucement d'abord, puis elle se mit à sangloter, la tête entre ses genoux ramenés contre sa poitrine.
La vieille femme lui manquait, elle avait laissé en partant un trou béant, et Blanche avait le sentiment que ce creux au fond de son âme ne se comblerait jamais, que jamais la plaie sanglante dans son coeur ne cicatriserait.
Elle avait besoin de la nuit claire, pure, et illuminée de milliers d'étoiles comme il y en avait dans sa campagne natale, elle avait besoin d'entendre les craquements des branches dans le vent, de sentir l'odeur fraîche de la rosée sur les brins d'herbe, elle voulait voir les lucioles danser au clair de Lune, mais surtout, elle avait besoin de sa grand-mère, celle qui lui avait ouvert les yeux sur ce monde magique et iréel qu'est une nuit en campagne.
Blanche ferma les yeux et s'endormit, bercée par les souvenirs de sa grand-mère la guidant dans l'herbe humide du pré pour aller observer les étoiles, trouver des constellations, et lui raconter des histoires de demi-dieux, combattant des monstres qui terrorisaient la population et que seuls ces braves hommes parvenaient à vaincre.

QuinaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant