Chapitre 6

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"Jour 37
Je n'ai plus l'occasion d'écrire souvent. Pierre et moi nous sommes beaucoup rapprochés, et sommes devenus très bons amis. Il m'a fait visiter son petit village, qui me rappelle le mien: les mêmes maisons de pierre grise, les mêmes ruelles pavées... Je prend conscience du chemin qui me sépare des miens, j'ai mal. Je sens que cela ne se passe pas aussi bien que cela devrait de leur Côté du Portail. Je m'en veut, mais je ne peux pas abandonner maintenant. J'ai beaucoup appris en peu de temps, leur civilisation n'est pas si différente que je ne le croyais, nous sommes très proches. J'ai bien fait d'apprendre le français et l'anglais avant de partir. Je manque de vocabulaire, mais le Portail m'a menée en France, et grâce à Pierre j'ai beaucoup progressé. La langue a changé, depuis nos manuels d'éducation aux langues étrangères, mais de peu, j'y arrive mieux que prévu.
Ophélia

Jour 219
Pierre se doute que je ne lui ai pas dit toute la vérité à propos de mes origines, mais je ne peux rien lui dire, c'est trop dangereux, je me mettrais en danger autant que mon peuple. Je dois arrêter d'écrire. Si on découvre ce carnet, je suis perdue. Adieu.
Ophélia "

Malgré ces paroles d'adieu, la rédaction reprenait peu après, mais l'écriture avait changé, plus mûre et moins appliquée, Ophélia avait vieilli. Blanche reprit sa lecture, avide de réponses.

"5ème année
Je suis en paix à présent. Je pense pouvoir écrire sans risque. J'ai vingt cinq ans et vient de me marier. Pierre et moi nous aimons depuis trois ans. Il y a deux jours, j'ai avoué à Pierre d'où je venais. Soit il m'aime trop pour me contredire, soit il me croit, mais peu importe, j'ai été honnête avec lui, c'est tout ce qui m'importe. Je vais pouvoir tout consigner, au cas où je perdrais la mémoire, je veux me souvenir de mes origines, savoir qui je suis.

Je m'appelle Ophélia Continy, et je viens de l'Autre Côté du Portail, dans un royaume appelé Niitey. Je suis, ou du moins j'étais, avant de partir, la régente, ou la reine, de ce pays, peu importe.
Notre royaume est séparé des autres pays par un portail, un passage, qui n'est presque jamais emprunté.  Les Hommes sont peureux, ils croient être braves, mais devant l'inconnu, ils se défilent aussitôt. Pas moi. Je suis curieuse de nature, et j'ai tout entendu des histoires de l'Autre Côté.
J'ai appris quelques langues, tout ce que l'on savait de cet autre monde, et à presque vingt ans, j'étais prête à traverser. Bien sûr, quitter mon peuple adoré à été un déchirement, j'abandonnais tout ce que je connaissais et à quoi je tenais pour plonger vers l'inconnu.
Ma traversée n'est pas totalement inutile à Niitey, puisque je leur fait parvenir tout ce que j'apprends par le biais du Portail. Je ne reçois jamais de réponse, mais je sens au plus profond de moi que les choses se passent mal au royaume. Je ne peux rien pour eux. Ma place est ici, et je ne peux plus retourner à Niitey car le Portail a été bloqué il y a quelques semaines. Je ne sais pourquoi, et cela m'inquiète, mais Pierre me dit de ne pas m'en occuper, que de toute manière je ne peux rien pour eux, mais en tant que reine je me fais du souci pour mon peuple et ma famille. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour repasser le portail avant l'échéance, cinquante ans jour pour jour et heure pour heure après mon départ.
Ophélia

15ème année
Je n'écrirai plus. Ma vie n'a plus besoin d'être racontée.
Je n'ai plus aucun contact avec Niitey, le portail a été débloqué, mais je n'ai plus envie de retourner chez moi, ma vie est en France à présent. À trente cinq ans, j'ai deux enfants avec Pierre, un petit garçon, Paul, et une petite fille, Tania.
Je n'ai pas oublié ma promesse, et j'y retournerai, mais cette date va tomber la veille de mon  dernier voyage. À Niitey, les reines ont le privilège de connaître le jour de leur mort. Elles peuvent mourir de maladie ou d'un accident, ce qui ne peut être programmé, mais leur espérance de vie leur est livrée à la naissance. Je connais donc le jour de ma mort, mais cela ne m'empêchera pas de revoir une dernière fois mon peuple.
Ophélia

50ème année
Ce soir à dix huit heures, je passerai pour la deuxième fois le portail, et j'annoncerai la prophétie. Une autre arrive, Quina sera bientôt prête, elle est formée, et il ne lui reste plus qu'à trouver ce carnet et franchir le portail.
Je laisse derrière moi une famille aimante, Tania a fondé une merveilleuse famille, que Pierre ne pourra plus jamais voir, mais je le rejoins à présent, j'espère que Quina est prête.
Ophélia "

QuinaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant