Chapitre 21

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Blanche rêvait, ou plutôt cauchemardait.
Elle était dans la bibliothèque du quartier général, de nouveau face à Val, il allait l'embrasser, mais Aaron ne venait pas. Elle était obligée de se dégager. Toute sympathie avait soudain disparue du regard du garçon. Un éclat cruel brillait désormais au fond de ses yeux. Il avait une torche à la main, et la lança dans les rayonnages remplis de livres. Blanche hurla, tandis que les ouvrages partaient en fumée, et que le feu se répandait partout. Lorsqu'elle se retourna vers Val, celui-ci s'était volatilisé. Elle tenta de descendre par l'escalier en colimaçon, mais les flammes léchaient déjà les premières marches. Elle était prisonnière. La fumée l'empêchait de respirer, elle étouffait, la chaleur était insoutenable, lorsque elle entendit son nom crié à plusieurs reprise, sur un ton paniqué.
"Blanche! Blanche! Réveille toi bon Dieu! Blanche!"
Elle se redressa en sursaut dans son lit, et se rendit compte que la chaleur et la fumée n'avaient pas disparues. Aaron était penché sur elle, échevelé et paniqué.
"La maison est en feu! Il faut sortir!"
Elle bondit de son lit, toussant sans relâche. L'adolescent lui tendit un linge humide. Elle le plaqua contre sa bouche. Il la prit par le bras, pour la guider dans le nuage âcre. Ses yeux pleuraient, agressés par la poussière brûlante, quand soudain son pied passa à travers la troisième latte de parquet en partant de la porte de la chambre, celle qu'il fallait toujours éviter, car elle était creuse et risquait de craquer sous le poids de celui qui passait dessus. Sauf que là, perdue dans la fumée, elle n'avait pas fait attention, et la planche avait cassé, la gardant prisonnière. Elle hurla, sentant la main d'Aaron se détacher de la sienne.
"Aaron! Je suis bloquée!"
Elle le sentit de nouveau contre elle. Il lui décoinça le pied, mais une douleur atroce lui prit la cheville. Elle tenta de le poser sur le sol, mais gémit, elle lança un regard plein de larmes au garçon, et lui dit, la voix tremblante.
"Je...je ne peux pas marcher. Ma cheville doit être cassée.
-Je vais t'aider, viens."
Il s'appuya contre elle, lui servant de béquille. Elle boitilla difficilement, peinant à avancer.
Soudain, un craquement retentit, et une énorme poutre enflammée tomba juste devant eux, bloquant la seule sortie praticable.
"Il y a la hache que j'utilise pour débiter le bois, je vais faire une ouverture dans le mur."
Il lâcha Blanche pour aller récupérer l'outil à l'autre bout du couloir, mais elle s'effondra, perdant l'équilibre. Aaron revint avec la lourde hache. Il la posa pour relever Blanche, mais il ne pouvait pas porter les deux à la fois les poutres au dessus d'eux craquaient dangereusement, prêtes à tomber. La chaleur était insoutenable. Pour couvrir les craquements, Blanche cria.
"Va-t'en! Aaron! Va-t'en! Laisse moi! Tu ne peux pas nous sauver tous les deux, alors sauve-toi!
-Jamais! Je ressortirai avec toi, ou je ne ressortirai pas!
-Imbécile! Va-t'en !"
Il la souleva, la jeta sur son épaule, la tenant d'un bras au creux des genoux. Il prit tant bien que mal la hache et courut vers le mur qui donnait sur l'extérieur.
La poutre sous laquelle ils se trouvaient tomba une seconde après qu'ils soient partis, projetant une gerbe d'étincelles, brûlant les bras nus de Blanche.
Elle poussa un cri lorsqu'il la descendit de son épaule, pour reculer et envoyer un premier coup dans le mur en bois. Il lui en fallu cinq pour créer un trou, et un dernier pour laisser passer un homme. Le garçon s'accroupit pour soutenir Blanche, l'aida à passer par l'ouverture, et une fois dehors, à une distance respectable de la maison en flammes, ils s'effondrèrent dans l'herbe, toussant et inspirant de grandes goulées d'air frais, le visage couvert de suie. Lorsqu'il eut reprit ses esprits, Aaron se précipita vers Blanche, étendue par terre. Dans la nuit, le brasier éclairait son visage couvert de suie, ou des larmes de douleur avaient dégagé des traînées beiges. Il passa ses mains sur ses joues, nettoyant la poussière et la serra contre lui.
"On l'a échappée belle..."
Elle ne répondit pas, s'agrippant à Aaron comme à un radeau à la dérive. Il lui passa la main dans les cheveux, d'un geste apaisant.
Des cris résonnèrent soudain. La voix d'Alexina. Elle les vit, Aaron à genoux dans l'herbe et Blanche serrée contre lui.
"Vous êtes en vie! Mon Dieu quelle inquiétude! La maison qui part en miette et vous à l'intérieur..." Elle les serra dans ses bras, Blanche plus délicatement, voyant que sa cheville était bleu violacé.
"Il faut vous cacher, les soldats, ils sont là! La rafle était pour ce soir vous vous souvenez? Ils sont là!"
Aaron cligna des yeux, sans comprendre. C'est alors que les paroles de Val revinrent à l'esprit de Blanche, la rafle, il voulait qu'elle parte! Il n'avait donc pas menti.
Semblant sortir de sa torpeur, Aaron se leva, et soutint Blanche pour s'enfoncer dans la forêt.
Ils entendirent des cris, la patrouille était sur leurs traces. Les voix se rapprochaient dangereusement. Aaron accéléra, le visage tendu par l'effort. Blanche tentait de suivre en sautillant, s'accrochant à Aaron du mieux qu'elle pouvait, mais elle trébucha et lâcha le bras de l'adolescent et s'effondra dans les racines. Il s'arrêta et revint en arrière pour l'aider à se relever.
On pouvait presque savoir ce que disaient les voix.
Blanche chuchota, les dents serrées par la douleur
"Va-t'en, c'est moi qu'ils veulent, de toute manière ils vont nous rattraper, autant que vous soyez loin de moi, vous serez plus en sécurité...
Il lui prit le visage une nouvelle fois, la regarda dans les yeux, toute malice ayant disparu de son regard.
-Je ne t'abandonnerai jamais, tu m'as bien entendu? Jamais. Quoi qu'il arrive. Allez viens."
Il la releva et ils reprirent le chemin.
À présent, les voix étaient pleinement perceptibles et on entendait même le bruissement des branches sur leur passage.
Le coeur tambourinant dans la poitrine, elle se mordit la langue pour ne pas crier, tant qu'elle sentit une substance chaude et ferreuse lui couler dans la gorge, elle s'était mordue jusqu'au sang.
Ils débouchèrent sur une clairière dégagée, d'où on voyait le ciel.
C'est à ce moment là que les soldats débarquèrent. Ils étaient une dizaine, des hommes, armés de matraques et revolvers à la ceinture. Ils n'avaient aucune chance. Alexina avait disparu, elle avait réussi à s'échapper, croyant sans doute que les adolescents la suivaient.
Blanche était tétanisée, Aaron la déposa délicatement au sol et se dressa entre les soldats et elle. Il contra le premier, qui ne résista pas beaucoup, sans doute un débutant, mais les deux qui s'avancèrent pour le maîtriser étaient deux masses énormes, qui lui lancèrent un coup de matraque léger dans le cou. Il s'effondra, conscient mais sonné, tandis qu'ils le forcaient à s'agenouiller en lui maintenant les bras dans le dos. Un homme vint redresser et ramener Blanche vers un soldat portant un casque qui arborait un galon sur la poitrine, représentant une couronne étincelante. Il semblait être le chef. Des mèches blondes s'échappaient de son casque.
Blanche fut projetée à ses pieds, Aaron dans le dos du chef, la regardait avec une terreur incontrôlée, tirant de toute ses forces pour se libérer de l'emprise des deux mastodontes. L'homme face à Blanche rit doucement, et ôta son casque dévoilant le visage d'un adolescent blond, aux yeux verts émeraude, dans lequel avait brillé un brin de malice, et une infinie sympathie, mais qui étaient devenus aussi froid et durs que la pierre à laquelle ils ressemblaient tant. Il lui fit le grand sourire dont il avait le secret, mais son rictus débordait de haine et d'amertume.
"Bonsoir, Blanche."

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