Lettre à Siel

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Quelques temps après le pique-nique...

Le sol était parsemé de parchemin. Une jeune fille se tenait au milieu, un stylo dans une main, une feuille en boule dans l'autre. Un air de mécontentement sur son visage, elle se pencha sur un papier vierge, posé près d'une jolie plume.
Son chat Loki lui miaula afin que son attention se reporte sur lui. La jeune fille l'ignora totalement. Sur le papier, elle griffonnait d'une jolie écriture quelques mots.


« Chère Siel,

J'espère bien avoir orthographié ton nom. J'ai consulté mon chat (Loki) afin de savoir s'il fallait mettre un C ou un S, ou s'il y avait un accent ou non. Il m'a simplement ignoré et s'est rendormi, alors je fais de même actuellement, vu il est en train de me miauler dessus pour que je lui fasse un câlin. Ce chat peut être vraiment casse-pied, quand il le veut.


Je n'envoie jamais de lettre, alors je ne sais pas ce qu'il faut mettre dedans. J'espère donc que le récit des mes derniers jours, assez mouvementés, t'intéressera !

Il faut croire que les hommes prennent du plaisir à embêter ce qu'ils considèrent plus faible qu'eux. J'étais en train de me promener dans un quartier plutôt sombre d'Ulmo, à la recherche d'une nouvelle cible pour mes blagues, quand celle-ci s'est directement présentée à moi. Par « celle-ci », j'entends le groupe d'hommes qui a malencontreusement décidé de m'approcher pour savoir si j'acceptais de leur faire certaines choses qui choqueraient sans doute l'oreille d'un adulte.
Je l'avoue, sur le coup, je fus légèrement déconcertée par ces propositions, mais je me repris tout de suite en leur envoyant des répliques bien cherchées. Et m'enfuit.
J'ai beau faire la fière, je sais quand est le danger, et là il était évident qu'il fallait que je parte. Mais ne t'inquiète pas, l'histoire ne s'arrête pas ici.
En quittant la rue, je suis tombée sur une femme qui semblait habiter dans le quartier, et je lui ai donc demandé qui étaient ces hommes. Elle me répondit que c'était des jeunes riches qui descendaient parfois ici pour traîner et faire du bruit. Ils ennuyaient beaucoup les habitants et que malheureusement personne ne savait comment les faire partir.
Je sus que c'était l'occasion pour moi d'agir.
Grâce à l'aide de la vieille ulmoise, j'appris que ces jeunes passaient leurs soirées dans un vieux bar oublié et qu'ils y seraient sûrement ce soir. Je préparai donc un plan d'action.
Le gérant du bar était un étrange pirate très âgé, qui ronchonnait toujours pour un rien. Je l'avais déjà rencontré auparavant, lors d'une escapade dans le port, car il y revenait parfois pour pleurer son bateau coulé. Il n'était jamais retourné en mer depuis, et avait ouvert un bar pour, entre autres, y noyer sa peine. La présence des jeunes le dérangeait particulièrement car ceux-ci ne respectaient pas grand-chose, les pauvres chaises et tables pouvant en témoigner. Il accepta donc de m'aider.
Le but était de les humilier suffisamment pour qu'ils cessent leurs provocations pendant au moins quelques temps.
Le bar était rempli ce soir-là. La musique paillarde faisait vibrer les esprits, et pleins de vieux marins venaient boire, oublier, ou s'amuser. Ceux qu'on attendait pointèrent rapidement le bout de leur nez et on les entendit arriver de loin. Ils entrèrent, s'assirent à leur place habituelle, et là les choses devinrent intéressantes.
Avec le gérant, nous avions piégé les chaises.
Ils s'écrasèrent de la manière la plus ridicule possible. Il y eut un silence de trois secondes, avant que le bar entier ne se mettent à rire.
Les jeunes hommes rougirent de honte et crièrent sur le vieux pirate pour lui dire que ses meubles étaient pourris, tout comme lui et son bar. Malheureusement, il y avait des habitués qui n'allaient sûrement pas laisser leur endroit favori se faire insulter, et tous se liguèrent contre les crapules qui s'enfuirent sans demander leur reste.
Evidemment, je n'allais pas les laisser partir tranquillement, alors j'ajoutai mon grain de sel : quelques petits nuages de pluie qui allaient les suivre pendant une journée entière, où qu'ils aillent.
Finalement, le gérant m'annonça que je serai éternellement la bienvenue dans son bar, et on n'entend plus parler d'eux depuis l'incident !
Ce fut une aventure amusante qui, je pense, méritait d'être contée ! J'espère qu'elle t'a plu.


Il y a quelque chose dont j'ai besoin de parler, et je n'ai jamais eu l'occasion de le dire à quelqu'un, vu que je n'ai pas d'amis. Disons que depuis aussi longtemps que je me souvienne, il y a certaines périodes où je me sens plus masculin·e que d'autres, et d'autres plus féminin·e. J'ai déjà entendu parler d'identité de genre, mais, ça, est-ce légitime ? Est-ce que cela existe ? J'ai comme l'intuition que tu en connais un peu, et si ce n'est pas le cas, je voulais juste me confier à une amie et savoir ce que tu en penses.

Encore merci pour le pique-nique sur la plage. Je suis heureuse d'avoir pu devenir ton amie. J'espère que ça signe le début de quelque chose de très intéressant pour nous deux !
Avec toute ma sympathie, Freyja. »

La jeune fille regarda la feuille avec satisfaction. Elle prit la plume posée à côté, la fit tourner entre ses doigts, puis se leva.

Il fallait maintenant trouver un oiseau.

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