La tempête ne s'est pas calmée ; le jeune homme entend le souffle erratique des bourrasques qui font plier les branches des arbres près de la librairie, il voit la neige tomber depuis un peu plus de deux jours déjà mais jusque là c'était calme, un paysage presque irréel qui s'étendait devant la fenêtre de son appartement chaque matin. Les toits des maisons en face sont recouverts d'une mousse blanche que le soleil refuse de chauffer, les vitres des lampadaires sont embuées d'un opercule de vapeur opaque et glacée et les branches de houx qui datent de noël dernier sont givrées d'un manteau brillant. L'hiver sublime la petite ville anglaise de Disley depuis plusieurs mois déjà seulement quand il ouvre ses rideaux ce matin, c'est un tout autre tableau qui fait face à Louis : le souffle violent d'un blizzard imprévu assombrit le jour de tel sorte qu'à à peine sept heures, on dirait qu'il en est vingt.
Maintenant, la vieille horloge de la librairie annonce onze heures ; onze heures du matin, onze heures mais rien n'a changé et après un léger coup d'œil à travers la fenêtre près de la caisse, il serait presque juste de dire que la situation a même empiré. Louis ne peut désormais plus distinguer l'autre côté de la route à cause de la brume légère et fine qui floute sa vision et avec le temps qu'il fait, il est certain qu'aucun client ne pointera le bout de son nez. Cependant ça ne le dérange pas, étrangement, il a juste eu à descendre le couloir qui relie son petit appartement d'étage à la librairie du rez-de-chaussée pour ouvrir donc aucun mal n'a été fait. Ses jambes ne l'ont pas non plus fait souffrir malgré le temps et il a pu prendre les escaliers, ce qui a contribué à un considérable petit plus et a amené un léger rayon de soleil dans sa journée monotone. De toute façon, même s'il avait dû prendre son fauteuil roulant, Louis serait descendu avec l'ascenseur ; il n'aurait pas su quoi faire en haut, son appartement est trop grand à son goût. La présence des livres, du tic-tac languissant de l'horloge, de la teinte jaune des vieux halogènes, des tables et des canapés de la librairie lui apportent bien plus de compagnie que ne le ferait quatre murs blanc et la sourdine de sa télévision.
Pensée qui est également partagée par Malory, petit chaton blanc enroulée sur un des coussins bleus du sofa, qui descend d'ailleurs maladroitement pour venir ronronner près de Louis quand le téléphone de celui-ci se met à sonner. En un coup d'œil, le jeune homme sourit et porte le cellulaire à son oreille :
_Oui Guenièvre ?
_Argh, elle râle immédiatement, et Louis l'imagine très bien grimacer en fermant les yeux, je ne sais pas si c'est pire encore que mon prénom ou pas. Arrête avec ça, tu veux ?
_Où serait le fun là-dedans, hein ? Que me vaut cet honneur, ô reine divine ?
_Mes cours ont été annulés à cause du blizzard et je voulais savoir si tu voulais que je passe, mais je regrette déjà ma décision.
_Allez Gwen, fait pas la tête. C'est de ta faute aussi, je ne comprends pas que tu aies réussi à me cacher ton vrai prénom aussi longtemps !
_Et tu vois pourquoi ?
_Mais ça fait plus de vingt ans qu'on se connaît !
_Bref.
_Je suis aux Mots.
_Par ce temps ?
_Ce n'est pas comme si j'avais dû braver vents et marrées pour venir ouvrir Gwen, je suis sur mes deux jambes. Je te prépare un thé ?
_Framboise miel. À tout de suite !
_Sois prudente !
La communication coupe avant même que Louis n'ait eu le temps d'achever sa phrase et il lève les yeux au ciel avant de s'étirer paresseusement, faisant écho à la fatigue insoutenable du temps qui refuse de se lever. Un petit miaulement de Malory le ramène d'ailleurs sur terre et il se lève pour se diriger vers la petite étagère sur laquelle sont disposés une machine à café, une bouilloire et un micro-onde avant d'attraper, juste au dessus, une tasse rouge. C'est uniquement dans cette tasse que mademoiselle accepte de boire car elle soutient dur comme fer que les arômes y sont meilleurs. Sa tasse à lui est déjà sortie et pleine d'un Earl Grey toujours fumant ; elle est posée en équilibre sur une pile de livres disposée de manière précaire près de l'ordinateur de fortune.

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Poisson chat
Hayran KurguPropriétaire d'une librairie à Disley, Cheshire, Louis n'a jamais rien connu d'autre que son petit village natal. Obligé d'utiliser un fauteuil roulant lors de ses « mauvais jours » à cause des séquelles d'un accident qui paralysent temporairement s...