IV.
1725, quelque part dans le sud de la Scandinavie.
Accroupi sur le rebord du quai, Alec regardait la jeune femme s'éloigner. Se mélangeant à son propre reflet, l'expression figée de l'inconnue semblait totalement le fasciner. Perché au-dessus de l'eau, il la regardait s'en aller. Et lentement alors, elle disparut dans les profondeurs sales et sombres du port. Il se faisait tard. Dans les rues ne traînaient désormais plus qu'animaux errants, prostituées délaissées et groupes d'ivrognes bruyants. Mais rien ne semblait en mesure de perturber le vampire. Arrivé depuis peu dans ce nouveau village avec pour uniques bagages sa longue cape et ses mauvaises intentions, il avait petit à petit pris l'habitude de longer les quais à la tombée de la nuit et de regarder les navires décharger leurs marchandises. Mais ce n'était pas ce qui l'intéressait le plus. Ce qu'aimait particulièrement Alec, c'était les nouveaux visages, les expressions pleines d'enthousiasme, de surprise, et même parfois de dégoût face aux ordures laissées au sol par les bateaux. Il y avait dans leur regard à tous quelque chose d'atypique, d'intrigant. Une petite étincelle propre à chacun, toute venant d'un ailleurs qu'Alec n'avait pas encore eu la chance d'explorer, ni de goûter.
Lorsque le corps de la jeune femme disparut pour de bon, il se redressa finalement.
— Ma pauvre Irène, il se pourrait que je t'aie menti, dit-il tout bas d'un air faussement désolé. En y repensant, j'ai peut-être connu plus délicieux que toi.
Imaginant cette fois le cadavre toucher le fond, il se recula et tourna des talons.
La nuit était froide et déjà beaucoup trop calme à son goût. À peine venait-il de la satisfaire que sa folie le reprenait, ses crocs encore sales alors immédiatement attirés par la gorge grasse et crasseuse de ces trois hommes au loin titubant ensemble le long des murs. Aussitôt, le prédateur se remit en chasse et dévia petit à petit sur leur trajectoire. Mais au même moment, tandis que le trio d'ivrognes défila devant cet énième début de ruelle, on entendit soudain le premier s'écrier brutalement. Et lorsque le second, pris de court, voulu se reculer, une silhouette s'extirpa tout à coup de l'ombre et vint à son tour lui transpercer l'abdomen d'un vif et profond coup de lame. Le dernier homme n'eut alors même pas le temps de réagir et laissa la silhouette meurtrière lui déchirer les entrailles avant de se laisser entraîner avec ses camarades par les pieds dans le fond de cette ruelle.
Surpris par ce spectacle complètement inattendu, Alec s'empressa d'approcher, l'odeur du sang, mais surtout la curiosité, l'attirant jusque sur la scène de crime. L'un d'eux continua malgré tout de s'écrier, les violents coups que l'assaillant lui portait au ventre lui arrachant un énième cri. Et puis soudain, plus rien. La mort prit finalement le dernier.
On n'entendit alors plus que le bruit sourd de cette lame pénétrant avec violence la chair des victimes, plus que les gémissements faibles de cet homme perdu dans l'ombre qu'Alec voyait de dos. Et malgré le silence déjà bien prononcé des cadavres, les coups ne désemplirent jamais. Le tueur s'acharnait sans relâche sur eux, son arme tiraillant sauvagement leur dépouille. Alors le vampire s'approcha encore, les yeux rivés sur cette mare de sang et d'entrailles.L'homme ne semblait plus pouvoir s'arrêter, celui-ci déchirant sans arrêt les corps jusqu'à en perdre haleine. Il y avait dans ses gestes une fougue totalement inédite, une agressivité extrêmement prononcée, sauvage, une fureur presque aussi puissante et nocive qu'un surhomme. Le boucher se perdait dans sa folie, dans l'élan de son abominable perversion, et plus rien ne semblait en mesure de le stopper. Il en aurait presque éventré le sol.
Et finalement, aidé par les quelques descriptions que le monde avait fait de l'individu, Alec le reconnu. Contre toute attente, le vampire sourit, son regard désormais amusé se verrouillant sur l'assaillant.
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L'Héritier : La Fièvre Rouge
Vampire(Tome 3) Attention aux spoilers si vous n'avez pas lu les livres précédents! (Tome 3) De retour à Liota, Veky se réveille seule à l'hôpital et se confronte une fois de plus à une réalité compliquée. Ce n'est plus un an, mais dix qui se sont écoulés...