11. Dans la gueule du Loup

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XI.


Veky Belmont.

Nous avions passé la nuit dehors. Les fugitifs que nous étions devenus n'avaient plus nulle part où aller. Réfugiés dans le parking extérieur d'un grand centre commercial, nous nous étions regroupés à l'avant-dernier étage, là où nous pouvions observer la ville sans être vu. Alaka regardait par-dessus le muret en silence, son sac de sport préparé à la dernière minute autour de ses épaules. Balthazar n'était pas loin, Alec non plus. Posés contre le capot d'une voiture, ils discutaient des possibles événements à venir, d'éventuelles techniques de ripostes et semblaient déjà prêts à envisager le pire.
Mais je ne pouvais pas encore y réfléchir. Je ne pensais pour l'instant qu'à une chose : trouver un endroit où s'installer.
— Je suis presque en train de regretter Aros, marmonna Zia en revenant de son tour. Là-bas, nous étions presque comme des dieux.
Mila lui emboîta rapidement le pas et brandit un sac plastique au-dessus d'elle.
— Nous revoilà ! s'écria-t-elle en nous rejoignant.
Chacun de nous se retourna sans tarder vers elles et la distribution se fit en silence. Comme je le craignais, l'odeur chimique de nos poches de sang était venue gâcher notre tant attendu repas, le parfum du désinfectant mélangé à celui des médicaments prenant presque le dessus sur toute cette quantité d'hémoglobine.
— Personne ne vous a vu ni suivi ? demanda Alec en déchirant sa pochette des dents.
— Non, assura Zia.
— En es-tu cert...
— Personne, pas même un regard, intervint soudain Mila en coupant Balthazar.
— S'infiltrer dans les grands hôpitaux du centre était trop risqué, on a finalement privilégié les centres de soins des arrondissements en périphérie.
Alec hocha alors la tête, satisfait des paroles de Zia, puis se détourna.
— Dépêchez-vous de prendre des forces, conclut Balthazar en s'éloignant à son tour.
Alaka, toujours silencieuse, déchira sans plus tarder sa poche et l'engloutit d'une traite.
Je me rapprochai d'elle sans un mot et l'imitai aussitôt. Nous avions enfin de quoi réellement nous remettre sur pieds, l'exquise saveur de cet humble repas me procurant presque des frissons. Je me tournai alors en direction de mon amie et l'observai longuement. Elle semblait ailleurs. Ce n'était pas dans ses habitudes.
— À quoi tu penses ? lui fis-je.
Toujours les yeux rivés sur la rue d'en face et ses néons bleus, elle se mit à doucement secouer la tête.
— Ce n'est pas bon, dit-elle enfin d'un air étrangement détaché. Rien ne semble vouloir aller dans notre sens.
Elle était inquiète, je pouvais le voir dans son regard. Le visage quasiment inexpressif, bien trop calme, Alaka agissait d'une façon que je ne lui connaissais encore pas. Mais c'était entièrement compréhensible. J'étais moi-même en plein questionnement.

Comment allions-nous riposter ? Alec était-il vraiment certain de pouvoir faire face aux nouveaux géants de cette ville ? Étions-nous réellement à la hauteur, seuls, face à ces monstres acclamés par une humanité crédule et hostile ? Toutes ces questions étaient venues parasiter mon esprit au point de me faire envisager l'impensable. Du moins, pour les autres.

C'est ça, ou rien... Tu le sais.

— Balthazar a beau dire, continua Alaka. Il n'y a pas un seul endroit ici où nous ne sommes pas potentiellement en danger. Chacun fait de son mieux. Les uns rapportent de quoi se nourrir tandis que les autres veillent sur le troupeau. Mais à quoi bon ? Ce n'est pas de cette façon que nous vaincrons. Et encore moins dans une société pareille.
— Je crois avoir une idée, avouais-je finalement. Mais ça risque d'être compliqué...
Alaka m'accorda cette fois un regard intrigué et m'analysa un instant.
— Continue.
— Il y a peut-être quelque part où nous pourrions aller, mais encore une fois je ne suis sûre de rien. Les circonstances dans lesquelles nous sommes on fait que j'en suis venue à penser à cet endroit et...
— Bon sang, vas-tu me dire ce que tu as en tête ? me coupa mon amie en tapant sa main sur le muret.
— Te dire quoi ? intervint soudain Alec suivi de Balthazar.
Rapidement, tous nous rejoignirent et je fus brusquement confronter aux grandes interrogations du groupe. Étrangement nerveuse, je baissai des yeux et cherchai justement mes mots.
— Puisque Liota est encore trop hostile pour nous..., commençais-je alors sous la pression de tous ces regards. Peut-être pourrions-nous nous en éloigner un peu et rejoindre les bourgades à la limite des périphéries...
Il y eu un court silence, personne ne captant réellement mes intentions.
— Nous éloigner ne résoudra rien, sans vouloir t'offenser, Veky, fit Mila en ne saisissant visiblement pas mon idée. Que ferions-nous une fois là-bas ?
— Tu ne comprends pas, il ne s'agit pas uniquement de s'éloigner, mais de...
Je m'interrompis et soupirai lourdement, frustrée de ne pas trouver les bons arguments. Je croisai alors au même moment le regard d'Alec et m'y attardai quelques secondes. Il me dévisagea longuement, ses sombres émeraudes lisant en moi comme dans un livre ouvert. Et finalement, il se mit à lentement hocher la tête, ce même air sérieux sur son visage.
— Veky veut tenter de se rendre chez les Chasseurs, lança-t-il soudain. Les grandes familles vivent aux alentours des périphéries.
Je pouvais sentir au son de sa voix que l'idée ne l'emballait pas. Je redoutais leur réaction à tous, mais je ne voyais jusqu'ici aucune autre solution. Il n'y avait personne d'autre vers qui nous pouvions nous tourner. J'avais d'abord pensé à mon frère, à mes parents, mais ils n'en restaient pas moins des humains, des fervents consommateurs des technologies Gordon. Les confronter à ma nouvelle famille de vampires n'était pas la meilleure des façons de revenir. Aucune de toutes ces personnes n'était en mesure de nous comprendre.
— J'espère que tu plaisantes ? intervint à son tour Balthazar, celui-ci de toute évidence ébranlé par une telle possibilité.
— Je pense réellement que nous devrions tenter ! répliquais-je sur-le-champ. À aucun moment nous n'avons entendu parler d'eux ! Ils doivent forcément s'être retirés quelque part, loin de la ville et de ses vampires. Avec toutes ces règles et ces dispositifs, leur présence ici est devenue inutile ! Le gouvernement a pris leur place !
— Mais rien ne nous dit qu'ils ne sont pas toujours autant dangereux, dit Alaka.
— Avec tout ce qui se passe, ils pourraient facilement nous prendre pour ces crétins de Solitaires, enchérit Zia.
— Pas si nous arrivons à les convaincre que nous sommes différents ! Et puis franchement, ils sauraient quand même nous reconnaître, non !?
— Il s'agit des Chasseurs dont tu parles, Veky, me dit Alec en croisant les bras. Pas d'une simple police qui suit une ligne de conduite instaurée il y a à peine dix ans.
— Ceux-ci nous chassent depuis la nuit des temps, enchaîna Balthazar. Y aller serait du suicide.
— Pourtant il n'y a qu'eux qui peuvent nous aider ! m'écriais-je brusquement, énervée de les voir se montrer si fermés.
Un bref silence s'installa, un court moment de réflexion que je m'empressai de briser pour reprendre.
— Je doute que les Chasseurs apprécient tous ces nouveaux vampires, et je doute encore plus qu'ils éprouvent une quelconque sympathie pour Oscar et ses étranges relations avec ce sombre con de Denovan ! Mais ce dont je suis plus ou moins certaine, c'est qu'ils ne seraient pas contre le renversement de tout ce manège ! Et puis, je connais... Enfin, j'avais l'habitude de fréquenter une personne autrefois, une fille appartenant à l'une de ces grandes familles. Je sais qu'elle saurait nous écouter et peut-être convaincre les autres de faire de même.
— Sire, c'est de la folie.
— Bon sang, Balthazar, réfléchis !
Son comportement commençait vraiment à m'agacer. Nous n'avions plus que cette solution, et le voilà qu'il tentait de nous en priver pour des raisons stupides.
— Je crois... Je crois que nous devrions la suivre, avoua soudain Alaka.
— Je le pense aussi, répondit alors Alec à la surprise générale. À moins que l'un de vous ait une autre idée ?
Personne ne se manifesta.
— Il faut aussi prendre en compte le fait que les Chasseurs pourraient se présenter comme de puissants alliés contre les Solitaires, continua le Dirigeant.
— Et Lussi dans tout ça ? fit soudain remarquer Mila.
— Je ne l'oublie bien évidemment pas, qu'est-ce que tu crois ?! m'exclamais-je brusquement. Si je propose une telle solution, c'est pour plus rapidement la retrouver !
— Oscar ne lui fera rien, intervint Alec, pensif. Pas pour le moment. Il a bien trop attendu pour pouvoir s'en priver si rapidement.
— Cette sale ordure..., siffla amèrement Zia.
— Quand bien même, Sire, qui sait jusqu'à quand cette assurance durera-t-elle ? enchaîna Mila. Il m'a l'air totalement imprévisible et je déteste ça.
— Alors tâchons de ne pas nous éterniser ! conclus-je rapidement. Et Mila, excuse-moi, je ne voulais pas...
— Pas d'inquiétude, il m'en faut bien plus, assura-t-elle en pressant mon épaule.
— Rassemblez vos affaires, nous partons cette fois pour de bon, ordonna le Dirigeant.
Tous s'exécutèrent sans hésiter. Je jetai alors un rapide coup d'œil à Balthazar et le vis doucement soupirer, Alaka s'emparant sans tarder de sa main comme pour le rassurer. L'ancien Sous-Dirigeant avait-il en fin de compte juste peur ?
— Veky, bien joué.
Alec, de nouveau près de moi, caressa doucement mon bras et m'accorda un petit sourire. Surprise, je me contentai alors de légèrement hocher la tête et le regardai finalement s'éloigner pour rejoindre les autres. Soudain submergée par un sentiment étrange, je laissai l'instant perdurer.

L'Héritier : La Fièvre RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant