12. Dix ans

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XII.

Veky Belmont.


Sans un mot, nous traversâmes les longs couloirs de l'immense demeure et je reconnus en passant quelques tableaux. L'ambiance austère, grave et atrocement boisée de l'intérieur n'avait elle non plus pas changé. D'énormes têtes d'animaux trônaient sur les murs tels des trophées sur lesquels avaient été gravé le nom du chasseur et le surnom donné à sa proie. Nous passâmes devant plusieurs pièces et interpellâmes de plus en plus de résidents. J'ignorai combien de personnes vivaient ici, mais à juger le nombre de petits salons et de salles de jeux devant lesquels nous venions de passer, il y devait bien avoir au moins une, voire deux grandes familles au complet.
Maryse marchait devant nous. Ses pas, secs, puissants et assurés, m'étonnèrent. À vrai dire, il m'était difficile d'oublier l'image que j'avais d'elle. Dix ans avaient beau avoir passé pour Liota, une seule année seulement ne s'était écoulée pour moi. Inconsciemment alors, je cherchais peut-être à retrouver cette amie de l'époque. Mais plus cette femme sévère et visiblement autoritaire se montrait à moi, plus le souvenir de Maryse s'effaçait. Il fallait que je la voie vraiment, que je l'observe, que je lui parle sans filtre ni crainte.

— Comment Maryse peut-elle... ! souffla une voix non loin de nous.
— C-Ce sont eux, n'est-ce pas !? laissa échapper une autre.

Mon regard passait d'une figure à une autre, les murmures autour de nous s'intensifiant au fur et à mesure que nous déambulions dans la grande propriété. De par les imposantes blessures que certains d'entre-nous affichaient, il était assez simple de deviner ce que nous étions. Cependant, tous ne paraissaient s'intéresser qu'à une seule personne : l'Héritier. Comme un trophée, un symbole de leur lutte, il demeurait le plus proche descendant de Gabriel. Autrement dit, il était de ceux ayant côtoyé les tous premiers Chasseurs, les fondateurs de chaque famille. Les yeux curieux se posèrent finalement sur le reste de la troupe au sang sacré et leur présence vint instantanément nourrir les conversations. Voilà que la lignée entière de Gabriel — du moins ce qui en restait — se présentait à eux, dans le plus mauvais appareil, sans défense, sans envie même de se battre. L'occasion était absolument parfaite. N'importe qui pouvait à tout moment en finir une bonne fois pour toutes.

Mais personne ne bougea. Tous se contentèrent de nous regarder passer. On semblait par ailleurs plus surpris et choqué de nous voir, comme si la haine des Chasseurs à notre égard s'était quelque peu assoupie l'espace d'un instant.

— Par-ici, nous dit-on soudain.

Nous entrâmes sans tarder dans un grand bureau, sa décoration égalant à la perfection celle du reste des couloirs. Murs sombres, chargés de tableaux, parquet en bois massif et tapis persans, il y avait ici clairement de quoi accueillir un ministre.

— Asseyez-vous, nous ordonna cette fois Maryse en s'avançant lentement jusque vers le large bureau posté à l'autre bout de la pièce.

Nous primes place sur deux sofas bordeaux disposés face à elle et furent rapidement rejoints par le reste des Chasseurs. De nouvelles têtes firent par la même occasion leur apparition et nous dévisagèrent longuement.

— Maryse, est-ce vraiment raisonnable... ? fit l'un d'eux.

La concernée soupira doucement.

— Vous vouliez me voir, je suis là, je vous écoute, dit-elle sans nous accorder le moindre regard.

Les bras croisés, les yeux rivés au sol, elle n'avait pas réellement l'air ouverte à la conversation. Mais il n'y avait plus le temps pour les formalités, nous devions aller droit au but.

— Nous ne sommes pas venu ici pour nous battre, ni pour vous attaquer.

— Heureusement pour vous ! lâcha l'une des chasseresses nous accompagnant.

L'Héritier : La Fièvre RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant