26. Zarith

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Il est impossible de battre un adversaire sans disposer d'une partie de lui-même.

Almena ne connaissait pas Zor. Jilèn, l'ancienne confidente du roi, fut sans doute la porte d'entrée dans ses pensées.

Adrian von Zögarn, Histoire de l'Omnimonde


Plus Jilèn ployait sous la fatigue, plus Adrian prenait conscience de l'implication de Zögarn. L'immortel le maintenait sur ce cheval lancé au galop vers Zarith, la plus grande ville du continent, dernier véritable rempart aux armées de Zor.

« Pourquoi s'attaquerait-il à cette ville en priorité ? s'était hasardé Adrian un jour plus tôt, quand ils avaient encore la force de parler.

— Sa fierté le réclame » avait laconiquement répondu Jilèn.

Elle avait raison.

L'ombre des fumées de Lydr les poursuivit durant deux jours entiers. La cité devait être tombée en quelques heures. Quelque chose leur criait de retourner en arrière à la recherche des survivants... et le devoir leur disait de poursuivre leur galop infernal à travers la steppe.

De grandes masses nuageuses se replaçaient comme pour assister au spectacle, ombrageant leur chemin d'autant de mauvais présages. Ils ne faisaient halte que pour faire boire leurs chevaux. Ils ne dormirent pas durant deux jours entiers. Adrian avait laissé derrière lui la plupart de ses affaires ; il avait rangé le concentrateur dans une valise plus petite, avec ses outils de chirurgien et le nécessaire pour la grippation.

Nul doute que la peste bleue rôdait dans le sillage de Zor.

L'imposante Zarith leur apparut alors. La cité dévorait tout un pan de la côte aplatie sur laquelle elle s'était développée. Adrian examina la topographie des lieux, calcula les meilleures dispositions pour la bataille annoncée, selon qu'ils défendent la ville de l'intérieur ou de l'extérieur, selon le nombre d'hommes qui se joindraient à eux.

« Scientifique, marmonna-t-il. Alchimiste, j'avais dit, philosophe peut-être, poète à mes heures perdues. À quel moment suis-je devenu un stratège de guerre ? »

Plus riche et prospère encore que les autres villes, Zarith s'était déversée hors de son mur d'enceinte initial. La moitié de sa population se massait dans ces nouveaux quartiers, récents pour la plupart, qui avaient l'apparence du neuf. Des rangées de masures aux toits plats, des dômes de temples dédiés à Kaldar ou au panthéon originel de Ki, rassemblés en cathédrales.

La ville était indéfendable.

Cette réalité le frappa comme un coup de fouet. Il chercha Jilèn du regard, mais la xilothe luttait avec peine contre le sommeil et n'était plus en mesure d'engager une conversation.

Le jour se levait et l'agitation de l'aube tempêtait dans Zarith. Des fermiers de son territoire convergeaient aux abords de la ville, afin d'y vendre leur récolte ; ils traînaient derrière eux des animaux sur pied. Jilèn et Adrian furent remarqués de loin. Leurs chevaux écumants tiraient sur une corde raide. Des cavaliers, la xilothe était au bord de l'évanouissement, tandis que l'alchimiste portait encore sa chemise puante, à demi déchirée et noircie de sang coagulé.

On dépêcha d'autres hommes, on appela des officiers de la maréchaussée, qui se tinrent prêts à accueillir les invités impromptus, mains sur les hanches, armes au fourreau.

Adrian n'arriva pas jusqu'à la ville. Son cheval épuisé trébucha sur un nid-de-poule qui grevait le chemin ; éjecté de sa monture, l'alchimiste fut sauvé par l'exceptionnelle résistance de son corps. Autrement, sa nuque se serait brisée sur le coup.

La Colère du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant