14. Le bonimenteur

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Pour s'incruster dans une société, apprenez à vous débrouiller avec tout type d'instrument : flûte, cithare, luth, orgue. Apprenez également à danser, raconter des histoires, bonimenter, et n'oubliez pas de vendre des élixirs contre la chute de cheveux, ainsi que des aphrodisiaques. Vous êtes paré !

Adrian von Zögarn, Traité de voyagisme II


Le campement de la tribu Málem se trouvait plus loin de quelques kilomètres. En un coup d'œil, Adrian eut un aperçu de toute leur société : tentes en peau et en toile, chevaux à l'abri d'une clôture temporaire, herbivores pesants qui fouillaient la terre pelée à la recherche de racines.

Almena les nomma des droms. Les plus petits faisaient mille livres au moins, les plus gros dix mille livres. À leur groin, leur pelage orangé et les multiples aiguillons à venin qui en perçaient, Adrian conclut que cette espèce n'existait pas sur Terre et sur Daln, ou qu'elle n'y avait pas été répertoriée.

« C'est fascinant » ne cessa-t-il de répéter sur leur trajet.

Il se sentait déjà l'objet de regards insistants, aussi se recoiffait-il machinalement sans cesse, tout en devisant sur le jour où il avait été poursuivi par un troupeau de vaches en colère.

« Quelle place occupes-tu dans cette tribu ? demanda Jilèn.

— Ils me prennent pour une éveillée.

— Ce qui veut dire... ?

— À la dernière réunion des trois lunes, Valeria m'a révélé mes trois vérités. Ça n'arrive pas à n'importe qui ; les autres sont jaloux, ou peut-être, se demandent à quoi elles pourront bien me servir.

— Trois vérités, engrangea Adrian. Vous adorez Kaldor, n'est-ce pas ?

— Kaldar sait. »

Almena les dépassa et héla des nomades assis autour d'un feu naissant. Des yeux torves se posèrent sur les deux intrus.

« Je vous ai ramené un marchand, dit-elle.

— L'autre, c'est une fille d'Enlil.

— Madame Jilèn m'assiste dans mon travail, intervint Adrian. Son appartenance ethno-géographique m'intéresse peu.

— Tu tiens vraiment à faire ça, Almena ? »

L'homme aux tatouages émergea d'une tente. Allégé d'une partie de sa tenue d'expédition, une simple pelure de lin sur les épaules, il n'en restait pas moins massif et sûr de lui.

« Laisse-nous, Kira » dit préventivement la nomade.

Le dénommé Kira fronça des sourcils. Il remit en place une attache dans ses cheveux noirs, comme pour se préparer à l'affrontement. Quant à Adrian, gêné d'assister à une scène de ménage – ou ce qui s'y apparentait, il faisait mine d'avoir remarqué un caillou particulièrement intéressant sous le sabot de son cheval.

« Tu as besoin que quelqu'un te rappelle ta place, jeune fille. Si tes parents étaient encore parmi nous, ils prendraient ce rôle. Mais ils ne sont plus là. Sat est parti. Plus personne ne te dit ce que tu peux et ce que tu ne peux pas faire. Tu le regretteras bientôt.

— Je n'ai pas de salive à perdre avec toi. »

Au vu des réactions, Almena venait de l'insulter sévèrement. Les regards se tournèrent vers elle en oubliant Jilèn et Adrian. S'il s'agissait d'une stratégie, elle était brillante. Dans tous les cas, la jeune fille s'exposait à un passage à tabac mémorable.

La Colère du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant