Nous étions sur cette étendue de sable et de poussière sèche. Nous regardions Utu se lever sur la terre de Ki. Les golems de Zor avancèrent en ligne. Le roi nous regardait de haut, de la même façon que Clemn l'avait regardé de haut, lors de sa plus cuisante défaite.
Nous étions un édifice construit en quelques jours, qui ne tenait que par la présence d'Almena.
Je dis « nous », car moi aussi, j'ai eu le sentiment de faire partie de cette histoire...
Adrian von Zögarn, Histoire de l'Omnimonde
« Il est temps, jugea Statma.
— Aujourd'hui, annonça Zor, j'accomplis mon ascension. »
La peau du roi se cuirassait à vue d'œil. Des microlithes, avait dit le golem, de petites pierres qui s'accumulaient dans son derme pour y former la plus solide des armures. Zor serait indestructible, première étape avant de devenir immortel.
Un rocher, planté entre deux dunes comme si Enki l'avait laissé tomber en chemin, lui offrit une vue ample sur Zarith et l'armée de ses ennemis.
Il les voyait et les devinait de loin, tous ceux qui s'étaient associés contre lui. Jilèn d'abord, la plus fidèle de ses fidèles, qui l'avait trahi. L'alchimiste, ensuite, l'envoyé des dieux qui avait refusé de partager son pouvoir. Almena, pour continuer, l'inconsistante fille d'Enlil qui avait tenté de le frapper alors qu'il sortait à peine des décombres de Lydr. Et le maréchal Isowen de Zarith, dont les bannières à tête de lion flottaient au vent.
Ils s'étaient unis pour maximiser leur pouvoir de nuisance. Zor les écraserait en un seul jour. Zarith, qui se trouvait à quelques kilomètres sur sa droite, serait anéantie. Alors commencerait son règne sans partage.
Seule ombre au tableau, Zor se sentait seul. Il pouvait prétendre que ses golems de glaise entendaient ses paroles, mais il ne s'agissait que de marionnettes dirigées par lui et Statma. Hormis le chef de son armée, hormis la présence réconfortante de ses loups de garde, redevenus des créatures du jour, dont la fourrure resplendissait d'éclats nacrés, Zor était seul.
Qu'importe.
Seul, il avait acquis le pouvoir dont il était désormais maître ; seul, il l'utilisait ; seul, il serait vainqueur.
« J'attends votre ordre » dit le golem asymétrique.
L'armée hétéroclite qui lui faisait face, archers des tribus du bois, fantassins en armure de la maréchaussée de Zarith, cavaliers des tribus du métal, dresseurs de faucons des tribus de la foudre, elle aussi, l'attendait. En cet instant, Zor était déjà maître, le monde suspendu à son bon vouloir.
Il leva la main.
« Qu'ils aillent. »
Les golems s'ébranlèrent comme un tremblement de terre.
***
Lorsqu'Adrian ressentit le martèlement des golems, avant même de distinguer leurs silhouettes derrière la poussière et le sable, un frisson incontrôlable descendit le long de son échine. Parmi les chevaux à l'arrêt retentirent des hennissements inquiets, suivis de murmures par lesquels les nomades tentaient de calmer leurs bêtes.
En tête du groupe, Almena n'avait pas bougé d'un pouce, le regard rivé sur la position de Zor. Le roi gonflé d'orgueil les surplombait avec morgue et superbe.
« Je ne te hais point » dit Almena à voix haute.
Juste après elle venaient Isowen, Jilèn, Kira et l'alchimiste. Les mâchoires étaient serrées, les mains crispées ; Adrian faisait figure d'exception dans le groupe. Zögarn effaçait pour lui les effets physiologiques de l'attente et de l'inquiétude, afin de maximiser ses chances de survie.
Trop aimable.
« Attendez » dit Almena.
Les flèches s'abattirent sur les golems. Ce n'était qu'une manœuvre de diversion, une façon de conforter le roi dans sa confiance exagérée.
La veille, nomades et zarithes s'étaient échangés leurs mantras et grands principes comme des enfants jouant à la balle. L'un d'entre eux, qui avait rencontré un franc succès, disait que l'attente faisait tout le combat. Il avait été approuvé des deux bords, aussi bien des habitués du conflit que des novices dont le cœur battait déjà à l'approche de l'aube.
Zor pensait qu'une fois les autres options écartées, la cavalerie chargerait de face. Il imaginait que les nomades tenteraient la vitesse contre la force brute des monstres, qu'ils essaieraient de se faufiler dans le sable tels des serpents.
Almena comptait scinder le groupe en deux. Lorsque Zor, déconcentré par le mouvement chorégraphié des fantassins, reposerait son regard sur les cavaliers, il chercherait vainement ceux promis à le stopper. Ils auraient déjà traversé le flanc ouvert de ses lignes, à l'abri du nuage de poussière soulevé par l'assaut. Le souffle d'Enlil jouerait à leur avantage ; Zor n'aurait que le temps de se retourner avant qu'ils parviennent à son promontoire d'observation.
« Jilèn, donne-moi ton arme. »
La xilothe s'exécuta. Elles échangèrent les cimeterres. Celui d'Almena était une arme débutante, inculte. Bien que préparée à la perfection, aiguisée comme un rasoir, graissée pour glisser hors de son fourreau sans gêne et même sans bruit, il lui manquait une aura. Elle n'avait pas tué. À cet égard, et en comparaison, le couteau que la nomade portait plaqué contre son flanc, caché sous un repli de cuir, vibrait d'un appel reconnaissable.
En voyant le sabre de Jilèn changer de main, Adrian reconnut la justesse de cette décision. La xilothe avait affûté son arme en prévision de ce jour, de cette confrontation qu'elle appelait de ses vœux. Son destin entrait en collision avec celui d'Almena ; toutes deux se croyaient promises à vaincre Zor. Le cimeterre de Jilèn, sa lame quasiment noire, comme celle d'un assassin nocturne, était empli de cette résolution. Il voulait se planter dans le cœur du roi maudit.
Était-ce l'excitation qui montait autour d'eux, l'appréhension qui déformait leur jugement, ou les combustions diaprées qui déchiraient leur ciel ? À l'horizon, la terre de Ki plongeait déjà dans les abîmes.
Sur leur droite, derrière des vagues de poussière qui semblaient remonter le vent, la charge des golems heurta une ligne de hallebardiers. Le choc brisa les hampes, les lames, les os.
« Allons-y » dit Almena dans un souffle.
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La Colère du Roi
FantasySon royaume s'effondre. Il est à bout de souffle. Autour de lui, la terre de Ki sombre dans la décadence. Les hommes et les dieux conspirent dans son dos. L'histoire s'apprête à le moquer comme un faible, un incapable, un sot. Grande est la colère d...