• I. Moi, Aliénor •

27 7 10
                                    

" ... En ce lieu de colère et de pleurs,
Se profile l'ombre de la mort ... "
Invicible, William Ernest Henley

***

" Aaah ...

Des gémissements. Encore.
J'en entends tous les jours depuis ... Depuis ma naissance, en fait.

Mais je le supportais. Je voyais cela comme un encouragement et je me disais que, si ils disparaissaient, ma mission serait accomplie.
Ils m'indiquaient la souffrance du patient lorsque je le rencontrais, l'espoir quand ils diminuaient et me procuraient du soulagement lorsqu'ils se taisaient.
Telle était ma philosophie.

Évidemment, je ne les aimais pas. Petite déjà, je tenais la main du malade en souriant d'un air candide ou fredonnait un air joyeux. Je voulais voir les gens sourire et la plupart du temps, j'y arrivais.
Mais ce n'est plus le cas.

Pourtant, je suis presque en âge, du haut de mes 18 ans, d'avoir mes propres patients. Je devrais enfin pouvoir, comme je l'ai toujours rêvé, soigner une personne seule, de a à z.
Malheureusement, c'est impossible.

Oh, ce n'est pas ma faute. Tous les guérisseurs, mêmes les plus vieux et expérimentés sont réduits à l'impuissance.

L'ennui, c'est que nous n'y pouvons rien. Toutes les générations de guérisseurs ont toujours soigné blessures comme maladies grâce aux plantes, préparant bouillons, cataplasmes et potions.

Et aujourd'hui, ces plantes fanent, même les plus robustes. Fatalement.

Pour cause : la nature qui, ces derniers temps, n'est plus que poussière et meure à petit feu. Nous qui sommes si proches d'elle, nous ne pouvons plus rien faire, et les blessés le savent.
Rares sont ceux qui continuent de venir, et nous devons les voir dépérir, sans pouvoir les soulager.
Regarder, impuissant, quelqu'un mourir est la pire chose qui soit.
Se dire que, chez eux, d'autres s'éteignent sous les yeux de leurs proches est tout aussi affreux.

***

A côté de moi, la femme soupire à s'en fendre l'âme, et je vois bien qu'elle souffre.
Son teint pâle, ses yeux vitreux témoignent de  son mal être et je décide donc de partir à la recherche de plantes médicinales.
J'abandonne sur sa table de chevet le bol de potage que je tentais de lui faire avaler : il est certain qu'elle n'en mangera plus. D'un geste doux, je la borde de sa couverture de lin, referme la fenêtre car, en ce début de moi de juillet, l'air est anormalement frais. Puis, sans bruit, je sors de la petite chambre et ferme la porte discrètement.

Je quitte le dortoir où sont couchés tous les malades avec joie : même si c'est habituellement un lieu lumineux, décoré de verdures qui le rendent vivant, je n'arrive qu'à le trouver sinistre, ces derniers temps. Respirant une bouffée d'air frais, je me dirige avec tout l'entrain dont je suis capable ver la place du village. Là, dans un coin, j'attrape un panier d'osier sur la pile puis me rend à la Petite École.
Je fouille le lieu du regard jusqu'à ce que j'aperçois un visage connu, derrière son bureau.

- Maman !

Ma mère est institutrice et aime se rendre au travail avant l'heure, pour préparer sa classe à sa guise. C'est une femme tolérante, consciencieuse et passionnée, si bien qu'elle l'impressionne chaque jours.

- Aliénor, ma chérie, que se passe-t-il ?

- Rien, rassure-toi. Je souris devant son inquiétude si soudaine et peu justifiée, propre à toutes les mères, je suppose. Je voulais seulement te prévenir que je pars à la cueillette. Ne me cherche pas, je serai rentrée avant la fin de la matinée.

Palamède. I : Le RéveilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant