•III. Le Château•

13 3 0
                                    

" Là haut tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté "
C. Beaudelaire, L'invitation au voyage

***

Je sens une pression sur mon épaule. Quelqu'un me secoue, j'ouvre les yeux et relève la tête, soudain aveuglée par la lumière du jour. Immédiatement, je me rappelle pourquoi je suis là et à quoi va aboutir cette journée. Ni une ni deux, je me lève, enfile une robe, des chaussures et tente de discipliner mes cheveux. Après une  rapide inspection dans le petit miroir de la salle de  bain,  je souris, plutôt satisfaite du résultat. Mais en réfléchissant à mon comportement, je fronce les sourcils. Je veux faire bonne impression devant mon roi et cela paraît normal mais, au fond, n'est-ce pas un inconnu ?Je devrais me moquer de l'avis des gens, surtout sur ce genre de choses qui ne regardent que moi. Seulement, je ne possède pas assez d'amour-propre, en  particulier lorsqu'il s'agit d'ignorer l'opinion d'une personne que je respecte et estime " supérieur " à moi. Ce besoin d'être aimée partout et par tous me suit, telle une seconde peau dont on ne peut se défaire.

Mon arrivée dans le réfectoire a le mérite de chasser ces pensées mélancoliques de mon esprit et je m'assois à la  table où se trouvent déjà Rosalie et d'autres amis.
Le déjeuner ne s'étire pas en longueur, juste le temps d'avaler un bol de  flocon d'avoine, une  tartine beurrée et nous voilà repartis, sous l'œil sévère des gardes. À leur décharge, nous avons encore une longue marche devant nous, de quoi nous occuper jusqu'aux soir. Je dois avouer que cette nouvell  me refroidit, moi qui trépignait en songeant à cette journée. L'impatience de la veille s'est envolée pour laisser place au doutes, encore une fois. Il faut dire que cheminer vers l'inconnu n'est guère rassurant ...

Arrête, Aliénor. Tu n'es pas seule. Il y a Rosalie, Alexandre, Agathe ... Et tu as 18 ans. Tu n'es plus une enfant. Marche la tête haute. Voilà, comme ça.

Je parviens ainsi à évacuer mes angoisses, me concentrant sur des choses légères et positives. Quoiqu'il arrive, je serai avec mes amis et tout ira bien. Alors, je me détends. Je ris aux boutades d'Alexandre, souris devant le faux air indigné d'Agathe et les observe se faire les yeux doux, échangeant des regards complices avec Rosa.

Et la journée passe. La pause de midi et ses sandwichs plus très frais, l'après-midi et sa marche éreintante. Je trouve tout de même que le Roi aurait pu faire un effort quand au transport ou au moins sur la qualité de la nourriture. J'imagine que l'argent ne lui manque pas ...

Enfin arrive le soir. Il doit être sept heures et la nuit tombe déjà, en plein mois de juillet. C'est à n'y rien comprendre ... Soudain, un exclamation et des bras qui se lèvent, montrant quelque chose du doigt. Je vois alors une tour apparaître, surgissant derrière une colline. Puis deux, et trois. Et d'autres encore, trop nombreuses pour que je puisse les compter. Le Palais royal se dresse devant nous, fier et majestueux. Ce spectacle, avec pour fond le couchant, est grandiose. Instinctivement, nous pressons tous le pas, tout en arrivant dans une ville presque aussi belle. Les maisons -non, les hôtels particuliers !- sont richement décorées et immenses. Pas étonnant, quand on sait qu'il s'agit là des résidences des membres de la Cour, ceux qui sont dans les petits papiers du Roi. Il n'empêche que, lorsqu'il nous arrivons devant le Château,  le souvenir de ces maisons ne me fait plus aucun effet. Rien ne peut être comparé à la splendeur, à la beauté qu'inspire cette construction, si haute que j'entrevois à peine le sommet. À côté de moi, Alexandre siffle d'admiration et des exclamations se font entendre. Chacun s'extasie devant les gargouilles,  les vitraux, les massifs de fleurs que l'on aperçoit  un peu plus loin et les roses qui grimpent sur l'une des tourelles. L'admiration commune redouble lorsque nous passons la lourde porte de chêne et déambulons dans les plus beaux couloirs qu'il m'ait été donné de voir. De grandes tentures ornent les murs, si détaillées qu'il faudrait des journées pour les admirer à leur juste valeur, des fauteuils moelleux garnissent tous les coins, de lourds rideaux de velours rouges suspendus grâce à des barres faites d'or. Les gardes, eux restent stoïques, comme si cela était la moindre des choses. Pour eux, il est parfaitement normal qu'un souverain vive dans ce luxe, et il faut dire qu'ils ont l'habitude. Mais une fois le ravissement passé, je repense à ma maison que je jugeais confortable. Elle ne l'est pas moins, mais  à côté de cet endroit ... Sans compter que mon foyer paraîtrait bien douillet  à certaines personnes, aux Paysans par exemple. Je sais, pour en avoir soigné plusieurs fois, que beaucoup vivent mal,  qu'ils n'ont pas toujours les moyens de se couvrir suffisamment l'hiver alors qu'ils travaillent dehors toute la journée et que, lorsqu'ils rentrent chez eux, les fins murs de leurs logements ne les isolent pas parfaitement du froid.  Et un simple bol de soupe n'apaise ni leur faim ni leurs frissons ...

Palamède. I : Le RéveilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant