•II. Partir ... Pour ne plus revenir ?•

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" ... Et je ne sais ce que me réserve le sort,
Mais je suis et je resterai sans peur ... "
W. E. Henley, Invincible

***

Prenant une grande inspiration, je dévale le sentier et rejoint la grande place, suivie de Marguerite. À peine ai-je le temps de me frayer un chemin et retrouver ma famille que le garde prend la parole, récitant avec soin un discours qui, en dépit du parchemin entre ses mains, est visiblement connu mot pour mot :

" Oyé, oyé, sages Guérisseurs !
Ceci est un message de notre noble Roi : tous les guérisseurs et guérisseuses âgés de 18 ans doivent rejoindre le Château, escortés par le convoi que voici ! d'un geste, il désigne d'autres gardes, également perchés sur des chevaux au crin soyeux et à la robe immaculée, sans doute des purs-sang. Chaque personne concernée dispose d'une heure pour préparer ses bagages et faire ses adieux à ses proches, nous nous rejoindrons ici à 10 heures. J'ai ici la liste des concernés, déserter sera donc impossible et tout tentative sera évidemment punie ! Oyé, oyé !

Sur ces paroles peu engageantes, le garde replie son parchemin et rejoint ses camarades, ignorant les questions et protestations de la foule.

Il me faut un moment pour assimiler la nouvelle. Alors qu'autour de moi les gens crient, pleurent ou feignent l'indifférence, j'ai la sensation de me détacher de tout et un grand vide s'installe en moi.
Pendant un instant ... Rien.
Puis, très vite viennent les questions, le doute, l'incertitude, l'incompréhension, qu'importe, le résultat est que je ne comprends plus rien. Pourquoi ? Pendant combien de temps ? Ces interrogations sont les seules pensées claires que je parviens à rassembler. Vraiment, je ne comprends pas. Si il était question des catastrophes naturelles, le Roi aurait fait appel aux Doyens, les " chefs " de notre village. Plus vieux, plus raisonnables et plus expérimentés, ils seraient bien plus aptes à prendre des décisions.
Alors, que ce passe-t-il ? Impossible de le savoir. Le garde ne me répondrai sûrement pas et lui-même ne doit pas le savoir.

Le visage blême, je me tourne vers ma mère, dont les yeux débordent déjà de larmes. Mon père, la serrant dans ses bras, tente de la rassurer. Ils se tournent vers moi, lui et son beau visage quoique usé par le temps et les ennuis, cette peau dorée, cette carnation pâle et ses yeux noisettes. Lorsqu'il les lève vers moi, cette lueur qui les habite suffit à me réconforter et, comme l'espoir est contagieux, je me sens déjà un peu mieux. Deux grandes mains se posent alors sur mes épaules et rententi une voix grave que je reconnaîtrait entre mille :

- Aliénor, tout va bien ?

Éloi, mon grand-frère adoré. Son ton est doux, il cherche à me rassurer. Comme toujours. Il me prend dans ses bras comme il le faisait quand j'étais petite, me caressant dans le dos et murmurant les " chut ... " coutumiers. Alors, reprenant les vieilles habitudes, j'appuie ma joue gauche contre son torse et me laisse aller.
Enfin je recouvre mes esprits, enfin je comprends la gravité de la situation sans pour autant me sentir condamnée.  Nous sommes ensuite rejoints par nos parents, nos frères Aurélien et Titouan, Aurore et Fabio, la femme et le fils d'Éloi ainsi que Léonie, la fiancée d'Aurélien. Une famille unie. J'ai de la chance, je le sais. Chez moi, cela a toujours été un culte et tous sont aimants et bienveillants. En ce moment, je ne pouvais rêver mieux car, du haut de mes 18 ans, je dois tout quitter pour une raison que j'ignore et me rendre dans un lieu inconnu.

***

Sans grande précautions, je fourre quelques vêtements, tous blancs, couleur des guérisseurs, dans un sac de cuir assez grand sans être trop encombrant. Tassant à deux mains la pile que constituent une chemise de nuit, un gilet, une robe, deux corsages, une jupe, un pantalon et une paire de chaussures, je parviens à ajouter mon carnet remplis de recettes de potions et un crayon. Cela peut paraître idiot, mais j'aime me dire que je pourrais me soigner -ou soigner une autre personne- en toute circonstance si quelque chose arrivait, où que ce soit. Si la nature me le permet, bien entendu.

Palamède. I : Le RéveilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant