V. A tous problèmes une solution

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Aliénor en média.

" Peut-être, dans la foule, une âme que j'ignore

Aurait compris mon âme, et m'aurait répondu !"

Alphonse De Lamartine

***

J'aimerais pouvoir dire que cela ne m'étonne pas. Que je me suis toujours sentie spéciale, différente,  comme destinée à accomplir quelque chose de grand. Ou que je suis honorée, heureuse de pouvoir aider mon pays. Que je ferai n'importe quoi, que je serai courageuse.     
Mais ce n'est pas le cas. J'ai plutôt l'impression que la nouvelle me tombe dessus, comme une masse. Et c'est ... Étrange. Oui, c'est le mot. Parce que depuis deux jours j'ai l'impression de rêver, sauf que les côtés positifs ont disparu. Je serais plutôt soulagée de me réveiller. Malheureusement pour moi, ce n'est pas le cas et le Roi ne prends même  pas la peine de nous demander notre accord. Cela doit couler de source.

Donc, nous allons sauver le monde. Nous allons nous entraîner, partir avec bravoure et détermination jusqu'au Grand Échiquier,  faire ce que nous avons à faire et rentrer, soulagés et acclamés par la foule. De véritables héros. Oui mais ... Comment allons-nous faire, au juste ? Personne ne m'a jamais appris ça, en classe. Comment sauver le monde ? C'est une bien belle question. Comment sauver un monde que l'on redécouvre, accompagné de cinq inconnus ? En voilà une autre. Et je -nous- devons la résoudre. Alors, Monsieur le Roi ? 

" Ehm ...Sire ?

C'est Sissa qui a parlé, d'une voix incertaine mais chaude et agréable. Le commerçant ose, timidement, regarder sa  Majesté en face, qui l'incite à continuer d'un hochement de tête.

- Que devons-nous faire ? Arrivés au Grand Échiquier, comment le ... réparer ?

-C'est une bonne question, Sissa. Voyez-vous, nous nous sommes beaucoup interrogés à ce propos au cours du siècle dernier et il semblerait que vous devriez ... Mener une partie d'échecs. La prophétie est à prendre au sens littéral, et chacun de  vous représente une pièce du jeu.

-Et qui sommes-nous ?

La question fuse. J'assiste, impuissante, aux événements et, soudain, décide d'en  faire partie. Tous se tournent vers moi ; je crois qu'ils m'avaient un peu oubliés. Seul Sissa m'adresse un sourire, qui me  fait du bien. Grâce à ce simple geste d'amitié, je me sens moins seule. Plus  comprise.          

-Justement, Aliénor, nous verrons cela demain. Nous rendrons visite à Lucena -oui, Lucena- qui nous donneras des réponses. Ensuite, nous aviserons.

Lucena ? LE Lucena ? Ici, tout le monde le connaît. Il a la réputation d'être lunatique, rêveur, trop bavard et surtout, complètement fou. Enfin, il est considéré comme fou car il croit dur comme fer en la Magie. Il la  proclame, la loue sans restrictions. Il en est fanatique. Mais puisque tous ça est bien réel, n'est-il pas plutôt un génie ? N'est-ce pas lui qui est brillant et nous qui sommes ignorants ?
Dans mon esprits tout se mélange et la logique m'échappe. Je me pose trop de questions, cherche trop de réponses. J'ai l'impression d'avoir été guidée tout au long de ma vie et que, soudain, la main qui me tenait me lâche et me laisse seule, démunie. Ce doit être le cas pour les autres aussi. Je ne les connais pas, et eux non plus. Eux aussi sont perdus, seuls et en colères. Eux peuvent comprendre ce que je ressens. Oui mais ... Oui mais je ne veux pas les connaître pour autant. Je ne veux pas faire ami-ami, parler de tout ça et me sentir mieux. Je ne veux pas prendre sur moi, trouver du courage et des points positifs pour me lancer corps et âme dans cette quête. Je ne veux pas les découvrir car alors, le  sauvetage du monde serait amorcée et il n'y aurait plus de retour en arrière possible. Je ne veux plus du tout y prendre part, et je regrette d'être entrée dans la manoeuvre cinq minutes plus tôt. 

Peut-être que, finalement, ces autres ne sont pas tellement sur la même longueur d'onde que moi car ils viennent chercher d'autres réponses, ils s'extraient de leur silence et de leurs pensées sombres pour aller de l'avant. Et le Roi leur répond, encourageant notre descente aux Enfers. Et les questions de se succéder, soulevant des points auxquels je n'avais jamais songé.

-Contre qui devront nous jouer ?

-Contre des forces magiques, je suppose. Nous ne sommes sûrs de rien, et c'est regrettable,  mais soyez certains que toutes choses dont nous sommes assurés vous sera communiquée.

-Combien de temps avons nous ? Palamède restera-t-elle en vie suffisamment  longtemps ?

-Nous ne pouvons que l'espérer, malheureusement. Pourtant j'ai bon espoir, le point de rupture est encore loin et nous vous avons appelé au plus tôt. Nos chercheurs estiment qu'ils nous restent six mois avant une mort certaine, aussi cela vous laisse largement le temps de vous entraîner puis de traverser l'île.

-Allez-vous révéler la situation au peuple ?

-Non, ce serait une piètre idée. Vous pouvez  parfaitement imaginer la frayeur de chaque habitant et, en ce genre de situations, la  panique est notre pire ennemie. Cette affaire, je tiens à le préciser, et donc strictement confidentielle.

-Que direz-vous à nos familles ? Vous n'allez pas les laisser sans nouvelles, n'est-ce pas ?

-Enfin, jeune homme, pour qui me prenez-vous ? Nous ne voulons pas vous arrachez à vos proches, mais au contraire assurez la survie de notre cher royaume ! Il va sans dire que vos familles seront mises aux faits, nous modifierons simplement la raison de votre séjour ici.

-Qu'allez-vous leur dire ?

-Eh bien, que, compte tenue de la situation de l'île, nous avons voulu former un conseil et que nous avons choisi un jeune personne de chaque ordre. Nos envoyés sauront être très convaincants, n'ayez pas de doutes là-dessus. D'autres questions ?

Nous gardons le silence mais aucun de nous, c'est évident, n'est entièrement satisfait. Pourtant notre silence signifie, nous en sommes conscients, que nous nous résignons. Je ne peux pas dire que nous acceptons car cette décision ne nous appartient pas. Elle aurait sûrement dû, mais on ne nous a pas laissé le choix : nous sommes leur solution.

C'est à cette conclusion que je parviens bien plus tard, allongée dans le lit le plus somptueux que j'ai vu. Il est certainement très tard mais le sommeil n'est toujours pas là. Impossible de fermer l'oeil. J'en sais trop et pas assez à la fois et surtout,  je me sens seule. Certes, ma famille et mes amis me manquent et je me demande quand je pourrais les voir à nouveaux mais ce soir, j'aurais aimé parlé avec les autres Elus. Elus. C'est notre nom, à présent. Il est étrange d'appartenir à un groupe  dont on ne connaît pas les autres membres. Après l'annonce du Roi, j'aurais voulu échangé avec eux, je sais qu'il m'aurait comprise. Mais nous avons directement été conduits à nos chambres, plus vastes et plus belles les unes que les autres. Chacun possède ses appartements privés, sa salle d'eau, son dressing, son salon, son lit à baldaquin. Lorsque je suis arrivée, toutes les petites lampes étaient allumées et, si l'ambiance tamisée créé était des plus agréable, j'ai ressenti la même gêne que tout à l'heure, quand nous sommes entrés dans le château. A ce moment, je ne savais encore rien, j'étais toujours avec Rosalie, Alexandre et Agathe. C'était il y a quelques heures et pourtant, tout a changé. 

Mais ressasser le passé est inutile et, demain, tout sera encore différent.


Palamède. I : Le RéveilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant