17

35 6 1
                                    

Nous avons la chance d'avoir trouvé une maison inhabitée mais encore «fonctionnelle», seulement voilà, pas d'habitant, pas de nourriture non plus.

Nous sommes arrivés hier, et nous n'avons toujours rien mangé. J'ai trouvé un vieux routard Michelin® du département de L'AUDE  sur lequel est indiqué que nous nous trouvons à Monfort-Sur-Boulzane, et que si nous descendons un peu la colline, nous devrions arriver dans un petit village de campagne, style Wlanut grove dans La petite maison dans la praire. L'aventure commence.

J'entreprends seul la longue descente de la route menant au village. Elle n'a pas voulu m'accompagner. Mal de crâne et yeux qui brûlent. Encore la fatigue j'imagine. 

J'arrive alors devant un petit hameau de maisons de pierres grises, semblables à la « notre » mais plus petites, plus « maisons de petits vieux ». Le gros panneau de métal indique 

«Benvenguda a Quilhan, Bienvenu à Quillan». 

Juste derrière le panneau, j'aperçois une espèce de grande carte dans un carré de verre, un peu comme les plaques d'horaires de bus. Je cherche alors l'épicerie la plus proche, et lorsque je mets le doigt dessus, je m'empresse de noter dans mon petit carnet. « La grand rue ». Je me dirige donc comme indiqué sur le petit pont qui enjambe le ruisseau qui sépare la montagne de ce « Quillan ». 

Les pages de mon carnet sont ondulées et le bas rougi. Elles ont pris l'eau un soir où nous étions encore sans abris au sommet de ma colline, tel des vagabonds, et que l'orage nous avait surpris. Blottie contre mon cœur, sous le grand chêne, à l'abri de la pluie et des regards, elle s'était endormie, et je suis même encore étonné de la confiance qu'elle a montrée à mon égard. Sereine, calme, comme si rien ne l'inquiétait. Comme si rien ne pouvait plus nous atteindre. Mais cela n'était sûrement qu'une façade.

Je trébuche alors violemment sur une pierre laissée là au milieu du chemin, manquant de peu de rouler jusque dans la rivière. Tiré bien brusquement de ma rêverie, je continu, un peu sonné, à m'enfoncer dans le petit village aux toits en pente pavés d'ardoises. 

En arrivant à ce que j'imagine être le petit cœur du village, je découvre une étrange fourmilière, où des tas de petits vieux s'activent, avec un drôle d'accent qui roule tout les R ! A plusieurs reprises, j'observe les aïeux se croiser dans les ruelles de Quillan. Les barbons tirent leur béret, et tous ces vétérans s'écrient presque simultanément « Adieu ! » en se serrant dans les bras, avant d'entamer une discussion animée sur des sujets de petits vieux :

Les prix de l'épicerie qui augmentent, le temps de chien qu'il fait ces jours ci et la jeunesse qu'ils ont perdue à jamais. D'ailleurs je me demande pourquoi les gens d'ici se disent « Adieu » pour exprimer un « Bonjour »...

Et tout à coup, je me rends compte que je suis entrain de passer devant un grand bâtiment, et il retient un instant mon regard. « Hôtel Cartier ». Puis soudain je tourne la tête vers l'emplacement indiqué par la carte. C'est effectivement une épicerie, mais à ma grande surprise ce n'est pas n'importe quelle épicerie. L'enseigne dit très clairement « Epicerie Cardaillac »

Cardaillac, comme Louis Cardaillac ?

Ce Monsieur Louis qui est presque devenu un ami qui me tenait compagnie, quand j'étais seul, quand même la lune me tournait le dos, préférant jouer à cache cache avec ces gros nuages gris, habitués des mois froids. Lorsque je rentre dans l'épicerie, une dame à l'allure plutôt comique s'approche de moi en se balançant d'une jambe sur l'autre. Petite, rondelette, les poings sur les hanches.

- Adieu jeune homme !

J'articule à mon tour un « Adéou » qui fait bien rire la petite fille juste à côté de moi, pas plus haute que trois pommes. J'aurais presque du me contenter d'un « Bonjour » de chez moi plus... « classique ».

- M'sieur est pas du coin à c'que j'vois?

Je secoue la tête, assez étonné de la manière si rapide et si « brusque » dont elle m'aborde. Elle me refourgue une petite tape dans l'épaule.

- Et bien, Benvenguda a Quilhan !

Elle pointe alors du doigt un homme en pantalon brun et chemise à carreaux dans le fond de l'épicerie, qui range les baguettes de pains dans de grands bacs, et elle ajoute sur le même ton entraînant :

- Joseph, mon mari.

L'homme regarde fixement l'espèce de grand panier d'osier, se questionnant. Combien de baguettes de plus supportera il sans craquer ? Il se décide finalement à rajouter trois baguettes dans le bac mais celui cède et tout le pain vient s'étaler par terre. Ce « Joseph » beugle alors quelque chose comme « bietase ! » que je prends pour un juron. D'un geste de la main, la dame me fait comprendre de l'ignorer.

- Ne fais pas attention, le p'tiot, il est juste énervé, c'est qu'ça fait trois fois qu'il re-range les baguettes dans le panier mais il a toujours pas compris qu'il en met trop et que ça finit par craquer ! Moi c'est Augusta, pour te servir!

Elle me tend alors une main qui se veut chaleureuse, bien que poisseuse, et je serre avec un léger dégoût. Elle l'essuie rapidement sur son tablier à carreaux lilas avant de poursuivre.

- Ici, p'tiot, tout le monde se connaît, la moindre p'tite écartade que tu vas faire et tout le village va être au courant, alors essaie pas de me piller. Je le saurai.

Je hoche vitement la tête même s'il est vrai que ça m'avais effleuré l'esprit quelques minutes auparavant.

- Mais si t'as besoin de moi, t'as qu'à demander Augusta, Augusta Cardaillac.

Le débit auquel elle parle me donne légèrement le mal de mer, et que dire des tous ces RRRR. Je sors les quelques sous que j'ai dans ma poche et après les avoir recomptés, lui demande un sachet de riz, des raviolis en boite, du jambon et des prunes. Elle me fourre tout dans un petit sachet craft, avant d'y ajouter avec un clin d'œil une petite tablette de chocolat. Je la remercie d'un sourire maladroit. Je fais une dernière grimace à la petite fille dans la queue juste à côté de moi, ce qui la fait pouffer de rire, et alors que je m'apprête à tourner les talons une question me brûle les lèvres.

- Cardaillac, comme Louis Cardaillac ?

Elle laisse échapper un petit soupir.

- Si maintenant même les gens de la ville le connaissent...

En fuite Où les histoires vivent. Découvrez maintenant