Une seule chose me vient à l'esprit, partir, fuir une fois pour toutes. Je saisis la corde qui a mis fin au jours de ce petit ange, d'un côté, j'amarre une énorme pierre, et j'attache l'autre bout autour de mon ventre. J'ai été fou de l'avoir laissé partir seule en ville. Elle avait déjà pris sa décision.
Elle avait tout prévu.
La voiture de police se gare à quelques mètres de moi, et un homme en uniforme descend, pistolet à la main, suivi de ma mère, et de mon... père ?
Les cris de l'homme en tenue et son arme pointée vers moi ne me font pas peur, les pleurs de ma mère ne m'arrêtent pas, le visage dur de mon père, se disant que je n'ai sûrement pas lu sa lettre, se disant sûrement aussi qu'après m'avoir laissé filer dix ans ans, il est trop tard pour me retenir, me laisse indifférent. Je ne saurais jamais ce qu'il a voulu me dire. Mais c'est trop tard. Ce n'est pas un inconnu qui m'a laissé grandir dans le rejet, qui a battu ma sœur et sûrement ma mère et qui n'a même pas eu le courage de lever le voile qui planait sur notre naissance avant, qui va m'ordonner de rester.
Je revois alors le visage de cette « Augusta », je revois son tablier lilas, ses mains poisseuses. Puis je m'imagine Joseph, toujours entrain de ranger le pain, et de jurer « Bietase » une fois que tous sera tombé. Je repense à ceux qui, fut un temps, étaient mes amis et que je laisse derrière.
Je repense à la grande sœur avec laquelle j'ai grandi, qui me lisait des histoires le soir, s'amusait à me maquiller, continue malgré les années de se jeter sur moi en me faisant des chatouilles le dimanche matin alors que je dors encore et à qui je ne dirai jamais au revoir, avec laquelle je ne serai pas quand elle décrochera son diplôme de médecine, avec des notes exceptionnelles car elle est brillante, que je ne verrai pas se marier, sublime dans une longue robe blanche, avec M., le nouveau garçon qu'elle aime plus que tout.
Un instant j'ai failli reculer pour elle, mais je jette un dernier regard à cette petite princesse partie trop tôt.
Je lui embrasse tendrement le front, laisse mes larmes couler sur ses joues, je me plonge une dernière fois dans ses yeux vert translucides. C'est trop tard. Trop tard pour la sauver, trop tard pour revenir sur ma décision.
"Je t'aime. Je t'aime. Comme un loup, comme un roi,
comme un homme que je ne suis pas.
Tu vois je t'aime comme ça."
Lara Fabian. C'est l'air qui me traverse l'esprit à ce moment précis. Je t'aime, comme un homme, que je ne suis pas. Je n'ai pas été foutu de me comporter en tant qu tel.
Un homme. Je pensais l'être, mais j'en suis loin. Je t'ai laissé partir.
Aujourd'hui, ni tes lèvres ni tes doigts de bougent, alors je fredonne pour toi. Je ne chante plus depuis que mon, enfin notre, père m'a traité de taffiole en m'entendant, alors que je m'entraînait pour le spectacle de fin d'année. Spectacle où d'ailleurs, il ne viendrai jamais. Mais pour toi ma gorge se dénoue sa crainte le temps de quelques notes, puis à nouveau se verrouille.
Et du bout des doigts, je ferme tes paupières, jetant à jamais un lourd voile sombre sur tes yeux verts, si beaux, purs et émeraude autrefois.
«Attends moi, j'arrive. »
C'est trop tard. Rien de mon ancienne vie ne me retiens. J'aime évidemment tous ceux que je laisse ici, mais je n'en aime aucun plus que la sœur dont on m'a privé.
Je ne veux pas de la vie qu'on me promet maintenant : retourner au collège, subir ces regards de pitié, voir un psy toutes les deux semaines, renouer avec mon père... Je ne veux pas de tout ça. Je veux lui rester à jamais fidèle, et partir avec elle.
Je serre entre mes doigts salles et mes ongles noirs mon pendentif de demi cœur, je grimpe sur le muret, au dessus du fossé, et j'ai juste le temps d'entendre un coup de fusil et de voir ma grande sœur sortir de la voiture en criant mon nom, retenue par un policier, avant de sauter.
Une descente infernale me retourne le cœur pendant d'interminables secondes. L'impression de voler. Je tombe dans la cascade tel un boulet de canon. La pierre me tire tout au fond de l'eau. Malgré la douleur, je continue de serrer le pendentif dans ma main. J'arrive. Petit à petit, j'ai l'impression de te rejoindre. Bientôt, nous serrons à nouveau réunis, et de nos demis cœurs en naîtra un entier, guéri de toutes ses blessures.
D'un coup, mes poumons s'évident de leur air, et d'énormes bulles sortent de ma bouche. Ma poitrine se déchire, par reflex, j'inspire profondément, et mon corps s'emplit d'une eau dévastatrice. Je me concentre sur tes yeux, vert translucide, qui redeviendront bientôt émeraude. La douleur est insupportable, je hurle un silence ravageur.
Mort, prends moi vite je n'en peux plus. Et enfin, lentement, mes paupières se ferment.
J'oublie tout. Je meurs dans cette cage glacée qui me prend les poumons, et pourtant
J e m e s e n s l i b
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En fuite
Teen FictionEn ouvrant la porte, je m'attendais à trouver ses yeux verts, purs, et profonds, tel que je les avais laissés, mais je me retrouve face à des yeux remplis de larmes, dont un bordé de bleu. C'est à ce moment là que j'ai compris que fuir était à prése...