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La seule chose que je souhaite maintenant, c'est rattraper le temps perdu. Je jette un dernier regard à mon téléphone avant de l'éclater par terre. Je regarde la vitre brisée en mille morceaux et étrangement, je me sens soulagé.

Je retourne alors à l'intérieur de la maison, laissant éclatés dans l'herbe les derniers restes de ma douloureuse vie d'avant.

Une fois à l'intérieur, l'envie de parler à ma sœur me prend. J'ai envie de connaître sa vie, qu'elle me raconte tout ce qu'elle a vécu, si mon père la battait souvent, si elle avait mal, j'ai envie de savoir si ça l'empêchait d'être heureuse, si elle a déjà eu un copain, si elle était amoureuse, je veux apprendre la connaître en tant que sœur. Comme le ferait n'importe quel frère. Je comprends maintenant cette envie que j'avais de la protéger, ce besoin de la sentir en sécurité. 

Je monte les escaliers et toque à sa porte, mais personne ne me répond. Je toque donc à la porte de la salle de bain : même constat. Personne. Je commence à m'inquiéter et à ouvrir toutes les portes de la maison, sans la trouver. L'angoisse monte je commence à avoir des bouffées de chaleur : personne dedans, personne dehors. Un dernier espoir me vient alors : le grenier. Lorsque j'arrive en courant au dernier étage, j'aperçois sur le piano une enveloppe blanche.

Je m'empresse de l'ouvrir, et je trouve à l'intérieur une lettre commençant par Mon fils que je n'ai pas vu grandir. Mais je suis trop inquiet pour ma sœur pour la lire maintenant, je la mets donc de côté.

Ils ne m'ont pas voulu, j'étais un accident.

Ils ne NOUS on pas voulu.

Je me rend compte que dans l'enveloppe il reste encore un papier et un petit sac en daim bordeaux. Je commence par le papier plastifié. Photo. Un homme, grand baraqué, bras dessus bras dessous avec un petit garçon qui ne lui arrive pas plus haut qu'à la hanche. Le petit garçon tient dans la main une canne à pêche bien trop grande pour lui, et l'homme le regarde en riant. Mes yeux se remplissent de larmes et je préfère ouvrir le petits sachet en espérant savoir où ma sœur se cache. 

A l'intérieur, je découvre une petite chaîne argentée avec un pendentif d'une moitié de cœur. Soudain j'entends au loin un tir de carabine. Ni une ni deux je dévale les escaliers, sors dans le jardin, et je revois mon téléphone par terre. Par reflex, je le ramasse et entame une course effrénée le long de la montagne. 

Je ne cesse de courir, je regarde à droite, à gauche, dans tous les fossés, mais je me dis soudain qu'aveugle, elle n'a pas pu aller bien loin. Exaspéré, je m'assois au bord d'un ravin, sous un grand arbre. Je me mets à pleurer. Enfin. Des sanglots lourds que je ne veux plus retenir. Trop d'émotions m'envahissent. Je suis un accident. Je n'ai pas su protéger ma propre sœur. Je ne reverrai peut être plus ma mère. Mon père est un connard. Ma grande sœur me manque.

Mais soudain, je remarque la carabine au pieds du grand arbre. 

Je me lève brusquement et quelque chose me heurte le cou. Pétrifié, j'arrête de bouger. Pendant quelques secondes, mon cœur s'arrête, et quand mon cou est à nouveau frappé, je me dois de me retourner et un cri de terreur me dévaste la gorge. Je manque de m'évanouir. Mon cri me dévaste jusque dans les moelles. 

Ses pieds, ballants, s'agitent dans le vent. Ses beaux cheveux bruns tombent sur son visage, et ses yeux, grands ouverts, translucides, semblent regarder vers la maison, espérant que je vienne la sauver. Espérant que ce tir de fusil dans le vide m'alerte, me prévienne que je dois courir, venir la chercher. 

Je ne peux pas y croire, je crie, je crie toute ma haine. 

En hâte je la détache, et je me retrouve avec un corps inanimé dans les bras. Je lui crie de se réveiller, je la secoue, je pleure, je hurle. 

Ma sœur.

 Il ne me faut que quelques secondes pour voir l'autre moitié du pendentif autour de son cou, alors je saisis le demi cœur pendu à ma chaîne et le joints au sien, pour ne former qu'un cœur entier. J'allonge alors ma sœur sur l'herbe, pause ma tête sur son torse et me laisse pleurer toutes les larmes de mon corps. Je pleure longtemps. Je viens de me rendre compte que cette amie si chère, cette fille fantastique, était ma sœur, cette fille qui à partagé mes peines, mes tourments... J'ai eu la chance qu'elle soit ma moitié, et je l'ai laissé filer. Pendue. 

Un nouveau cri de douleur m'arrache les poumons. 

Tu a su combler ce vide présent dans mon cœur, mais maintenant que tu es partie, le trou n'a fait que s'agrandir.

Mon portable est dans ma poche, ma sœur est morte, et je crois qu'il est temps que je sache la vérité ! J'appuie sur le bouton « allumer », je crie pour qu'il aille plus vite, et quand enfin je suis sur le point de pouvoir lever le voile qui recouvre ma naissance depuis quatorze ans, le bandeau rouge dans la barre de notifications, synonyme d'un message prioritaire, m'interpelle.

Police Nationale : Ne fuyez plus, vous êtes géolocalisés.

Pas le temps d'ouvrir le message de ma mère car l'acte est rapidement joint à la parole puisque j'entends le bruit assourdissent des sirènes de police approcher.

En fuite Où les histoires vivent. Découvrez maintenant