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"- toc toc toc! Je peux ?

- Non

J'entrouvre malgré tout la porte, un bol de lait chaud à la main, mais je regrette rapidement ce geste

- DEGAGE !"

Mais soudain je remarque dans son cou, entre les cicatrices de ceinture qui me brisent le cœur et auxquelles je ne peux m'habituer, un tâche de naissance en forme de nuage. Ébahi, je ne peux pas parler. Je passe mon doigt dans mon cou, sur ma tâche de naissance en forme de nuage, que je croyais unique jusque là.

Je pose le bol par terre et reviens sur mes pas, après avoir ravalé mes larmes et réglé le vieux chauffage électrique rouillé sur 3.


Je laisse la soirée couler, dans l'incapacité de dormir. Je tourne en rond dans le salon, pensant à elle, à nous, à ceux qu'on est aujourd'hui, ceux qu'on était hier, mais surtout ceux qu'on sera demain. Harcelé par les claquements sourds de l'horloge, les bouffées de chaleur ne cessent de m'envahir. 

Tantôt j'essaie de me convaincre que je suis fort, que je suis un « homme », et je retiens mes larmes, tantôt je me recroqueville à même le sol et je me laisse pleurer, un coussin mexicain étouffé dans les bras. 

Vers minuit, la lune est pleine, au plus haut dans le ciel, et je décide de monter au grenier pour l'admirer, ou plutôt pour apprécier sa compagnie. Pour ne pas être seul. Je dépose le coussin mexicain sur le canapé avant de remarquer non sans un certain amusement qu'il représente un âne avec un chapeau en train de danser. En montant, je m'arrête au premier palier, et je me décide à passer par sa chambre. J'aperçois la porte légèrement ouverte, et par l'entrebâillement, je la vois penchée à la fenêtre, le bol de lait renversé sur le parqué.

Je continu de monter, lentement, comme si j'avais des boulets de galérien attachés aux chevilles. Je veux retourner auprès d'elle, la serrer contre moi, mais elle me repoussera. Je sens mon cœur vide, et pourtant si lourd. Lourd du rien. Arrivé au grenier, je saisie une chaise en vieux bois tout effrité, le coussin bariolé de l'assise se déchirant, et je m'assoie près de la fenêtre, un livre de Louis CARDAILLAC à la main, la lumière blafarde de la lune éclairant ma souffrance.

Au bout de quelques minutes, j'entends les escaliers grincer. Je reste immobile, et lorsqu'elle rentre dans la pièce, les bras tendus, je me lève pour la serrer contre moi. Elle continue d'avancer et je me souviens qu'elle ne voit pas. Elle n'a pas remarqué ma présence. Je me rassois alors sans aucun bruit, et la regarde tâter le piano devant elle. Elle cherche ensuite du bout des doigts un siège, mais il est à plusieurs mètres d'elle, alors je me lève, sans bruit, et le dépose juste derrière elle. Lorsqu'elle le saisie pour s'asseoir, je retourne à tâtons sous la fenêtre, un regard complice à mon amie la lune, comme si je venais d'accomplir un acte héroïque. 

Elle commence alors à jouer, hésitante, se trompant de notes et me faisant grincer des dents, mais au bout de quelques minutes, alors qu'elle se croit seule, elle fredonne ses Do et ses et finit par se placer. Je l'écoute alors jouer cette douce musique, bien que plus lente que d'habitude, et j'en oublie qu'elle a les yeux fermés.

Après quelques instants de musique, je finis par me lever pour la laisser seule. Alors que je m'apprête à descendre la première marche, « quelqu'un » prend la parole !

"- Je sais que t'es là.

Je sursaute, troublé.

-Mais comment .. ?! Comment tu .. ?!

- Un sixième sens je dirais."

En fuite Où les histoires vivent. Découvrez maintenant