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Je ne sais pas ce qui lui est arrivé depuis la scène de musique au grenier, mais elle paraît sereine.

 Il y a à peine quelques jours, elle criait, pleurait, et aujourd'hui, subitement, elle semble épanouie. Je ne sais que penser. Tantôt je me méfie de cette carapace de joie, tantôt je pense qu'enfin nous avons retrouvé un équilibre. Affalé sur mon lit, je tente d'avancer dans mon livre mais une multitude de pensées et de questionnements ne cessent de m'interrompre... Soudain, j'entends des petits bruits de pas dans le couloir, se dirigeant vers la salle de bain. Je me décide à sortir et la vois, sur la pointe des pieds, pour ne pas se faire remarquer. 

Je réprime un petit rire.

J'ai aussi remarqué que depuis quelques jours elle ne tend presque plus les bras en avant, car elle connaît maintenant la maison comme sa poche. Elle n'avait pourtant qu'à me demander et je l'aurais guidé partout sans aucun soucis, mais au lieu de ça, j'ai noté que sur le pied de son lit, elle a gravé maladroitement, d'une écriture difforme et infléchie, le nom des pièces de la maison et le nombre de pas pour y accéder depuis sa chambre. Elle est vraiment merveilleuse.

Je la regarde se diriger vers la salle de bain, tourner la poignée, lever mécaniquement le pied pour enjamber la marche, et pénétrer dans la pièce ensoleillée. Je regarde ses lèvres remuer au fil des pas.

Un, deux, trois, et quatre

Puis elle s'arrête exactement devant le lavabo, ce qui m'arrache un sourir. Elle tâte d'abord l'évier, puis descend le long du pied avant d'ouvrir le tiroir à battants. Elle tend alors bizarrement son bras pour saisir au fond du compartiment un petit sachet plastique et le poser au creux de la vasque. Je reste dans l'entourage de la porte, intrigué. A ma grande surprise, elle sort du sachet Hyper U un petit tube doré.

Elle saisit délicatement le minuscule cylindre ambré, le fait rouler entre son pouce et son index et en sort une longue barre rosée, qu'elle vient vulgairement écraser sur ses lèvres. Je contemple cette étrange scène d'un regard étonné. Elle ballade le tube sur ses lèvres, de droite à gauche, méthodiquement. Je ne la vois que de dos mais j'ai du mal à me dire qu'elle n'est pas en train de s'en mettre partout. Au bout de quelques secondes, elle repose le rouge à lèvre sur le bord du lave-main, ouvre le robinet et entreprend de se débarbouiller le visage. Après avoir bien frotté, elle se sèche délicatement les lèvres à l'aide d'une serviette traînant là, s'assoit alors sur le rebord de la baignoire et nous attendons un instant en silence, avant qu'elle finisse par rompe ce pesant mutisme.

"- Tu peux m'aider s'il te plaît ?"

Je m'avance alors dans la pièce, saisis le minuscule tube rosé du lavabo et viens m'asseoir près d'elle, sans ajouter un mot. Même plus choqué qu'elle remarque ma présence alors que je n'ai rien dit. Je fais tourner à mon tour cette tige entre mes doigts avant de venir la déposer délicatement sur sa lèvre inférieur. 

Nos visages ne sont qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Tout d'abord cette « intimité » me gêne. Je fais glisser subtilement la craie sur ses lèvres, les regardant se tinter légèrement d'un prune qui lui va à merveille. Et je me répète qu'elle est belle. 

Son souffle me vient dans le visage, ardent, tel une étoile à quelques centimètres de moi. J'admire ses paupières, fermées, et je savoure ce moment de complicité. Soudain, je ressens quelque chose d'étrange pour elle. Non, j'en suis convaincue, je ne l'aime pas, mais j'ai la profonde conviction qu'elle n'est pas qu'une amie, et que quelque chose de plus fort nous uni. Quelque chose qui m'empêche de succomber à son charme. 

A ses côtés, à cet instant, j'ai l'impression de revivre, d'être en sécurité, au cœur du Sahara, le vent chaud me caressant le visage.

A ce moment là, je nous sens unis, complices, et je voudrais que cela dure une éternité.

A ce moment là, je la sens sur la fin, dépendante, impuissante, et je voudrais mourir.

En fuite Où les histoires vivent. Découvrez maintenant