Chapitre 60 : Naufragés

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— Co... Comment ça ? répondis-je.

Framal avait l'air épuisé, il s'affala sur le canapé et se passa les mains sur le visage.

— Il s'en remet pas Clémentine. Je l'ai pas vu comme ça depuis des années. Il fait rien, il gratte toute la journée en fumant des spliffs, enfermé dans son appart. On a tout essayé. Les vacances, les meufs, les soirées, il veut rien entendre. Il répète tout le temps qu'il a détruit ta vie et qu'il ne se le pardonnera jamais. Ça fait des semaines que Sneazz dit qu'il faut que tu le voies, mais nous on flippe parce que vous êtes deux putains de bombes à retardement.
Clem, quand le Bigo nous a raconté dans quel état il t'avait trouvé on s'est dit que c'était vraiment la merde. Si l'un de vous deux fait une connerie, c'est pas un mort qu'on aura sur les bras, mais deux. Alors on flippe de ouf mais je crois qu'il n'y a plus que cette solution. Faut que tu viennes.

Médusée, je hochai la tête. De toutes façons depuis quelques temps, je n'étais plus capable de lutter contre quoi que ce soit. Ma conscience s'était tapie dans l'ombre, je n'avais plus que mon cœur à suivre.

Idriss parut soulagé que j'accepte. Il se leva et attendit que je me prépare. Pour récupérer des affaires, je laissais mon instinct me guider. Je pris la casquette de Ken, mes clopes, deux livres et son briquet.

— C'est bon je te suis.

Quand je fus devant la porte brune de l'appartement de Ken, j'eus l'impression d'être transportée un peu plus d'un an en arrière, quand en pleurs, je m'étais réfugiée chez lui après ma rupture.

Framal m'ouvrit la porte.

— S'il y a le moindre problème, tu attends pas, tu appelles, on est dans le coin.

J'acquiesçai et pénétrai dans l'appartement. Une puissante odeur de tabac et de canabis assaillit mes narines. Refermant la porte derrière moi j'entrai dans la pièce à vivre.

— Ken ?

Pas de réponse, quand mes yeux se furent acclimatés à l'obscurité je finis par me rendre compte qu'il était sur le canapé, fixant le plafond. Un joint s'éteignait dans le cendrier à côté de lui.

— Ken ? répétai-je encore, C'est Clémentine.

Il ne réagit pas plus et je m'approchai de lui. Lentement, je laissai tomber mon sac à mes pieds et réduisit l'espace entre nous, m'accroupissant par terre à côté du canapé. Ses yeux étaient très rouges et cernés, il n'avait pas taillé sa barbe depuis un bon moment. Cette vision me fit monter les larmes aux yeux. J'avais si mal de le voir aussi détruit.

— Ken, réponds moi s'il te plaît, suppliai-je près de son oreille.

Mais il se contenta de fermer les yeux très fort et je vis une larme perler au coin de son œil. Je ne comprenais pas pourquoi il ne me répondait pas, j'avais peur que ce soit une façon de me repousser. Doucement, je posai ma main sur sa joue et caressai tendrement sa peau mal rasée.

— Ken je t'en supplie...

Ses yeux se posèrent alors sur moi et lentement, il tendit la main vers mon visage. Silencieusement, ses doigts effleurèrent mon front et les quelques mèches qui tombaient devant mes yeux. Mon cœur battait à tout rompre et je sentis mes mains se mettre fébrilement à trembler.

— J'aimerais tellement que tu sois réelle, souffla-t-il.

Tout s'éclaira soudainement. Je compris que les joints et l'état second dans lequel il se trouvait depuis des semaines l'empêchaient de croire que j'étais bien en face de lui. Cette constatation m'arracha un sanglot, tandis qu'il me fixait d'un air absent et désespéré.

Il fronça les sourcils un instant, comme surpris de sentir ma peau sous ses doigts.

— D'habitude je peux pas te toucher.

— Ken, je suis vraiment là. C'est moi, Clémentine.

Ses doigts descendirent le long de ma joue et la tristesse que je lus dans son regard me coupa le souffle.

— Pardonne moi mon amour, murmura-t-il d'une voix éraillée, pardonne moi de t'avoir bousillée.

Je reconnus le terme que j'avais employé lors de notre dernière rencontre. C'était donc cela qui le rendait malade à ce point. Je m'en voulais terriblement d'avoir eu ces mots si durs à son encontre, c'était à cause de moi s'il était dans cet état.

— Ken je suis là, dis-je plus fort, vraiment.

— Arrête, souffla-t-Il, arrête de me torturer.

Je fermai les yeux, sentant les larmes se remettre à couler sur mon visage. Il paraissait complètement ailleurs et je ne savais pas comment le faire revenir à la réalité. Voir cet homme qui m'avait fait prendre conscience de la beauté de la vie, le voir aussi brisé, me plongeait dans la plus profonde détresse.

Je voulais le sauver, comme il l'aurait fait pour moi si je l'avais laissé faire. Il me fallait chasser cette expression désespérée qui habitait son regard.

Alors sans réfléchir, je joignis mes lèvres aux siennes, espérant qu'il se rende compte que je n'étais pas un mirage créé par les effluves de marijuana.

Au début, il ne réagit pas, puis doucement, je le sentis s'éveiller. Ses lèvres remuèrent naturellement pour recevoir puis me rendre mon baiser. Ses mains passèrent dans mes cheveux qu'il agrippa presque violemment. Si le désespoir avait un goût, ce serait sûrement celui de ce baiser. Il y avait entre nos lèvres toute la souffrance que nous avait infligé cette trop longue séparation.

— Beauté, souffla-t-il entre deux baisers, c'est vraiment toi ?

Je m'écartai doucement de lui et acquiesçai d'un signe de tête. Il se frotta les yeux, comme pour vérifier.

— Je peux pas le croire. J'en ai rêvé tant de fois.

— Pourtant cette fois c'est vrai.

Alors il m'attira de nouveau à lui et sa main caressa fébrilement mon visage, comme s'il voulait s'assurer que c'était le mien. Il m'embrassa encore et je me laissais faire tandis que ses lèvres parcouraient mes traits dans les moindres détails.

— C'est bien toi.

Il me serrait si fort que j'en avais presque le souffle coupé. Ses lèvres ne quittaient pas ma peau, j'étais consciente que c'était la seule chose dont il avait besoin.

— Pardonne moi je t'en supplie, j'arrive pas à vivre avec le mal que je t'ai fait.

— Ken regarde moi, lui intimai-je.

Son visage s'éloigna du mien et ses prunelles captèrent les miennes.

— Tu n'as pas gâché ma vie, tu ne m'as pas bousillée. Et quoi qu'il en soit je te pardonne. Je t'ai pardonné depuis le début Ken, même si on s'est fait du mal, même si on s'est détruits, t'es la plus belle chose qui me soit arrivée. J'ai jamais aimé personne comme je t'ai aimé, j'ai jamais rien vécu d'aussi intense. Tu m'as apporté des amis merveilleux, tu m'as appris à savoir ce que je voulais, tu m'as empêché de me marier avec quelqu'un que je n'aimais pas. Ken jamais j'aurais assez de reconnaissance pour ce que tu m'as apporté. Je t'ai mentis parce que j'avais peur de souffrir, j'ai pas changé mon amour, je suis toujours moi. Je te demande pardon de t'avoir fait du mal.

Il m'attira violemment contre lui, enfouit ma tête entre ses bras, dans son cou. Le nez sous sa mâchoire, j'inspirai à plein poumons l'odeur que j'aimais tant, et tandis que de violents sanglots nous agitaient tous les deux, je m'agrippai à lui en chuchotant des paroles apaisantes.

J'ignorais où tout cela nous mènerait, mais à ce moment précis, nous étions deux naufragés nous cramponnant l'un à l'autre pour s'empêcher de sombrer.

Avide Tempête Où les histoires vivent. Découvrez maintenant