Le calme qui s'entendait au loin

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J'étais tantôt assise tantôt debout, je faisais les cents pas. Mes affaires étaient empaquetées. J'aurais pu quitter Paris à l'instant-même, j'étais prête. C'est ma tête que j'y aurais laissée. Mes pensées déraillaient. Je n'arrivais à rien, je ne pouvais penser à rien. Avec effroi je me voyais incapable de me calmer. Personne ne pouvait rien pour m'aider. Ecrire sur mon carnet avait été une thérapie efficace chaque fois que j'avais été bousculée dans mes certitudes mais dans cette situation écrire n'aurait servi à rien. Il me fallait quelque chose de plus fort pour dompter le tumulte en moi. La solution ne pouvait pas s'extraire du chaos de mes émotions. Je ne connaissais rien d'assez puissant mais pourquoi alors je sentais qu'une solution était possible et qu'elle était tout près ? J'étais dans un vacarme destructeur et j'entendais le calme au loin. Continuer ainsi me rendrait dingue, je sentais que cette peur, cette angoisse et tout ce stress finiraient par me consumer. Je me voyais m'user et je n'étais pas capable d'y remédier.  Quelle cruauté de la vie peut nous mettre dans un état qui nous brûle alors qu'on entend au loin le bruit du cours d'eau qui nous permettrait d'éteindre le feu ? 

Je pensais à ce que font les gens qui sont face à un mur. Des mots traversèrent mon esprit : alcool, tabac, drogue... Des addictions nouvelles que certains préfèrent à la dépendance à la tristesse et au désespoir. Est-ce qu'une version saine et sensée existe ? Quand devant soi se dresse un mur, vers qui ou vers quoi se tourner ? Je sentais qu'une force pouvait être invoquée qui contrôlerait ma fougue. Je ne savais pas comment atteindre l'espace de calme que je sentais non loin. Je faisais les cents pas comme un détenu qui cherche à s'échapper sans savoir que la porte de sa cellule était ouverte. Où était la porte que je ne devais que pousser ? Sans réponse, j'ai cédé face à la détresse et j'ai pleuré en espérant autre chose. N'avoir rien à invoquer de fort quand tout devient bancal nous réduit à une condition d'êtres trop fragiles. La moindre contrariété nous emporte telle une bourrasque. Est-ce cela la vie des êtres humains ? Vivre et essuyer des épreuves sans soutien, sans force, sans refuge ? J'avais envie de croire à autre chose et rien ne venait.  J'ai pleuré jusqu'à ne plus être soulagée par les larmes. Et, assise, adossée au lit d'Iman, j'ai appelé ma mère. Elle décrocha à la première tonalité.

"-Oh une revenante! Madame a à peine vu Paris qu'elle snobe déjà ses parents, les provinciaux!"

Trouver du réconfort dans la taquinerie c'était ma relation avec ma maman. Dès le premier éclat de voix un peu de mon chagrin se brisa. Je riais doucement. 

"-J'aurais dû t'appeler plus tôt mais j'ai été très prise... Comment ça va ? Comment va papa ?

-Ce n'est pas grave ma fille, ce qui compte c'est que tu ailles bien et que tu profites de ton temps. On n'a aucune nouvelle de Salim..." Ses mots m'étourdirent, je redoutais qu'elle aborde le sujet. "Mais bon tu sais... Avec cette Sonia qu'il suit au doigt et à la baguette, j'étais vraiment inquiète pour toi. Elle nous a envoyé un message le soir de ton arrivée, on n'en attendait pas moins!

-Qu'est-ce qu'elle a dit ?"  J'avais parlé avec précipitation et ma voix a déraillé sur la fin, j'étais sûre que ça n'échappa pas à ma mère. Elle se tût avant de réciter, détachée : 

"-Hizia est venue. Il faudrait prévenir pour mieux la recevoir la prochaine fois. Et prévoir plus de temps qu'un coup de vent pour rendre visite à la famille!" Je souriais presque du quiproquos. Le langage codé de Sonia qui tourne toujours autour du pot au lieu de dire "merde" clairement m'avait sauvé la mise. Ma mère n'avait aucune idée de ce qui m'arrivait et j'en étais soulagée, je gagnais du temps pour entamer la discussion avec elle. C'était autant d'énergie sauvée pour penser au reste... 

Nous avons discuté des choses que j'avais vues, mangées, des endroits où j'étais allée, de mes impressions sur les Parisiens. Un échange de banalités dans une vitrine d'insouciance, c'est tout ce qu'il me fallait. La voix réconfortante de ma mère me remit un peu d'aplomb. 

"-J'ai rencontré des gens sur Paris..." 

"-Ah oui ? Qui ? Les amis fous de ton frère ?" Je riais franchement en mesurant le contraste entre les fréquentations de mon frère et Anis et sa soeur auxquels je pensais. Un monde les séparait. 

"-Non pas du tout, ce sont des Algériens qui tiennent un restaurant. Un frère et sa soeur, vraiment adorables!" Je ne dirai rien de plus, je voulais juste sortir l'image inatteignable d'Anis de mon esprit et lui rendre sa place de simple personne dont on peut parler. Néanmoins, dire ce que j'ai dit ne me fut d'aucun secours. Le souvenir d'Anis, juché au sommet de mes préoccupations, m'oppressait toujours autant. 

"-C'est bien... Ne donne pas ta confiance trop facilement aux gens." 

Cette recommandation je l'attendais, c'est la mention de l'origine des personnes qui la justifiait. Aux yeux de ma mère, rien de moins rassurant qu'un algérien et rien de plus fourbe qu'une algérienne. Je ne réagis pas et proposait à ma mère de la rappeler demain dans le train.

"-Fais attention à toi, à demain ma fille."  

Iman entra exactement au moment où je raccrochais. J'entendis la porte d'entrée s'ouvrir puis quelques coups polis à la porte de la chambre où je me trouvais. Elle se débarrassa de ses chaussures et s'installa près de moi avec des précautions que je trouvais étranges. 

"-Tout va bien ? " dit-elle avec tant de douceur que la détresse que je maintenais à distance me réapparut soudain. C'est le sillage des larmes sur mes joues qui m'avait trahi.

"-Ca va merci, t'inquiète... Y'a des coups qui sont difficiles à encaisser, surtout quand ça vient de la famille." Je ne pouvais évidemment pas lui avouer que mon départ de demain m'angoissait et que je m'inquiétais de ne plus revoir Anis. Prétexter que Salim était la cause de mes larmes valait mieux. 

"-Je comprends ma belle, tu vas retrouver tes parents et tu commenceras à y voir plus clair. Je crois que tu as besoin d'être parmi les tiens pour aller mieux, c'est normal. Moi quand ça va pas je prends le premier Paris-Alger et je respire mieux rien qu'à l'idée de retrouver ma famille, ma maison, mon quartier..." Elle voulait me réconforter alors je lui souris en signe de réconfort. Je ne pense pas qu'elle ait été trompée mais elle comprit que ce soir ma peine était plus vaste que la veille. 

"-J'aimerais te parler d'un sujet sérieux mais je ne sais pas si tu es en mesure de m'écouter... L'ennui c'est que tu nous quittes demain donc on est un peu pressé..." Je n'avais pas présagé l'air grave qui assombrit son visage d'ordinaire radieux. 

"- Je t'écoute bien sûr..." Je me redressais pour la rejoindre dans la salon où elle me faisait signe de la suivre. 



Voyage au bout de moi-mêmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant