J'avais dit à Iman le moindre sentiment que m'inspirait la présence de son frère; confiance, tranquillité, sécurité. Le souvenir de mon départ imminent ne me quittait pas et chacune de mes paroles s'en retrouvait comme teintée d'une tristesse pressée. Il fallait que l'on s'entende vite et j'en voulais à Anis de passer par un chemin si tortueux. Est-ce qu'on peut se permettre le luxe de la timidité quand un train pour Lyon m'emporterait demain ? Iman m'écoutait attentivement, quelque chose en elle me rappelait son frère, sûrement cette impression qu'elle mesurait ce que je disais et comment je le disais. L'intensité de l'instant ne correspondait pas avec une prétendue timidité d'Anis. S'il ne m'avait pas parlé directement c'est qu'il en avait décidé autrement, mais pourquoi ? La posture sérieuse d'Iman me tenait captive et l'issue de notre discussion avait un enjeu que je ne mesurais pas bien. Quand j'eus terminé, un silence réconfortant m'accueillit, je m'y réfugiai entièrement.
"- Je vois que vous vous êtes bien trouvés... C'était écrit comme ça, mektoub! Il y a des choses que tu dois savoir hizia. On te donnera tout le temps qu'il te faut pour y penser bien sûr mais comprends bien qu'Anis ne joue pas et si tu as en tête une histoire d'amour d'adolescente il faut me le dire dès ce soir s'il te plaît." Je restais interdite, piquée par ces mots inattendus et déstabilisée par le tournant que prenait la conversation.
"-Je t'ai dit qu'il est très responsable, depuis toujours. Je lui connais une petite histoire avec une fille en Algérie quand il avait 16 ans. Bon, c'est à lui de te raconter tout ça s'il le veut... Pas un mot, hein ?" Je fis oui de la tête et elle reprit, tout aussi pressée que moi d'en venir au fait manifestement :
"-Maintenant, il a 28 ans et surtout... il est très pieux. Il ne veut pas te fréquenter. Sache déjà qu'il regrette un peu le temps que vous avez déjà passé ensemble. Ne le prends pas pour toi surtout, je te l'ai dit : il a parfois des idées bizarres. Moi-même j'ai du mal à le suivre!"
La piété d'Anis, ses regrets suite au temps que l'on a passé ensemble, des idées bizarres, il ne veut pas me fréquenter ? Je cherchais du sens à tout ce qu'Iman me disait mais la confusion ne faisait de moi qu'une bouchée.
"-Je ne comprends rien Iman... Qu'est-ce tu veux dire, concrètement ?" J'avais insisté sur le dernier mot, lasse d'être en attente d'une déclaration qui ne venait pas. Je ne m'attendais pas à cet effet sur elle. Elle sembla désolée et son regard se voila. J'espérais me tromper mais je crus voir en elle de la pitié mêlée à de la consternation. Quelque chose de fondamental m'échappait et elle ne réussissait pas à m'atteindre. Derechef, une distance cruelle s'instaura entre nous. J'essayais au mieux de donner du sens à ses mots. C'était comme implorer pour une vérité que je ne saurais de toute façon pas supporter. C'est son regard contraint qui me le disait.
"-C'est d'un mariage dont tu me parles ? " Les mots s'étaient échappés de ma bouche, je ne suis pas sûre de les avoir pensés avant qu'ils n'aillent s'échouer auprès d'Iman.
"-C'est ça. Anis ne veut pas autre chose avec toi. S'il faut que vous vous voyez encore, tu dois d'abord me dire ce que tu penses de ça."
Si elle avait supposé que je n'étais pas capable de comprendre, elle ne s'était pas trompée. Je ne comprenais pas l'urgence, le ton cérémonieux, l'intermédiation de sa soeur. Je ne comprenais plus Anis. Je voyais clairement cependant que toutes les fois où une barrière s'était insinuée entre nous et que je ne comprenais pas ce qui lui passait par la tête c'était en rapport avec ce qu'Iman me disait maintenant. Une part de mystère s'éclairait et une autre, infiniment plus grande, se révélait à moi. Et encore une fois, je manquais de repères pour m'orienter, la voilà cette vérité que je pouvais supporter.
"-Mais pourquoi un mariage ? J'ai 22 ans et on se connaît que depuis deux jours à peine! Il pourrait se tromper sur mon compte, qu'est-ce qu'il en sait ? C'est surréaliste..." Alors que je prononçais ces mots, ceux d'Iman résonnaient en moi, Anis ne veut pas autre chose avec toi... Me disait-elle qu'en dehors de cette proposition folle je ne pourrais plus rien espérer venant de lui ?
Ma détresse était immense. Cette discussion était un labyrinthe où chaque parole qu'elle prononçait provoquait la chute d'un mur devant moi et alors que j'entrevoyais l'issue je n'en étais que plus piégée. J'osais à peine me démener pour mieux comprendre ou lui expliquer mon point de vue. Ce qu'elle me disait était péremptoire et obéissait à une logique supérieure à la mienne. Encore une fois les mots ont dépassé ma pensée :
"-C'est pour la religion, c'est ça ? Il ne fréquente pas de fille parce que c'est pêché ?"
"-Tu sais, personnellement je ne suis pas de son avis. Mais après tout, il mène sa barque comme il veut, non ? Il pense que c'est la seule façon de vous assurer une union heureuse." Iman restait grave. Je voyais clairement qu'elle était sensible au tumulte en moi mais son regard était une fenêtre ouverte sur l'espèce de pitié incompréhensible qu'elle me portait à cet instant.
"Qu-est-ce que tu en penses, toi ? Qu'est-ce que tu ferais à ma place ?"
Elle s'est approchée de moi, a attrapé mes mains dans un geste doux. J'avais besoin d'un mouvement dans ce sens et surtout de son avis franc.
"Il m'a demandé de te parler, je l'ai fait. Maintenant je te parle de femme à femme. Personnellement, je ne me vois pas me marier selon la tradition. C'est pas pour moi, c'est tout. Mais Anis c'est ce qu'il a décidé! Il me dit depuis longtemps que s'il rencontre une femme qui lui correspond alors il n'irait pas par quatre chemins."
Je restais silencieuse. Je n'étais qu'une poupée animée par des émotions successives. Qu'un mot s'échappe de ma bouche et c'était la porte ouverte sur le flot que j'essayais de contenir. Iman reprit :
"Pour moi la vraie question c'est qu'il a des projets d'avenir très clairs, je ne veux pas que tu les subisses... Est-ce qu'il t'en a parlé ?
-Non, je ne sais rien de rien et je suis au milieu de tout ça!" Ma détresse m'avait emporté et le ton de ma voix s'en était fait l'écho. Je respirais profondément puis intimai à Iman de poursuivre.
"-Il va rentrer chez nous pour reprendre les affaires de mon père. Il gère déjà une part en France mais contrairement à moi il ne s'est jamais fait à la vie à Paris. Je te l'ai dit, c'est un bon gars mais il est bizarre et il a des idées bien à lui!"
"-Et il s'imagine qu'on va se marier et vivre en Algérie, bien sûr!" Ces quelques paroles je les avaient envoyées comme un lasso plein d'ironie pour recueillir un peu de vrai. Mais, quand m'est revenue la réponse, je fus celle enserrée par le lasso.
"-Exactement. Ce qu'il veut c'est un mariage et une vie en Algérie, avec toi."
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Voyage au bout de moi-même
Historia CortaCommencer à fouiller l'histoire de ma famille et de nos origines n'était pas dans mes projets. Après tout, on vivait en paix... Mais la paix ce n'est que quatre lettres pour un concept vite envolé si l'on commence à poser des questions, si l'on est...