Et le jour d'après ?

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Nous marchions en direction du restau de l'oncle d'Anis mais je ne saurais dire où nous étions exactement. On discutait de tout et de rien et parfois on ne parlait pas du tout sans que ce soit gênant. Pendant un de ces moments j'ai pensé à mon retour imminent à la maison et bizarrement j'ai perdu pied. Il me faudrait parler de Salim ou mentir à mes parents puis vivre avec ce poids dans les deux cas. C'était un problème, certes. En vérité la tension qui s'installait doucement en moi me poursuivait depuis la première fois que j'avais sérieusement pensé à Anis... Et si dès demain je ne le voyais plus jamais ? C'était insensé. Jamais je n'aurais pu prédire que mon frère me tourne le dos et ne me préfère Sonia, ni que je sois recueillie par des étrangers, ni que mes parents soient dans l'ignorance totale de ma situation. Toute cette histoire me précipitait dans des contrées  émotionnelles inconnues. Tout était hors de mon contrôle et je ne pouvais que l'accepter... Une seule chose devait pourtant continuer d'obéir à la logique : il fallait que ma rencontre avec Anis ait du sens. C'était ma logique et c'était tout ce en quoi je voulais croire à ce moment. 

Je pensai que je n'avais aucun moyen de le joindre : ni téléphone, ni réseau social, ni même son nom de famille. Lui-même n'avait rien entrepris pour avoir mes coordonnées. La tension m'envahissait et Paris me parut bien sombre d'un coup. Nous progressions sur les sols pavés. Nous parlions je m'en souviens mais de quel sujet, je n'en ai pas l'ombre d'un souvenir. On se comprenait, c'est tout ce que je sais. Sans crier gare, le décor de la veille au soir s'est repositionné devant moi. Je reconnaissais les lieux, la route passait en contrebas et là serait le restaurant. Je lui jetai un coup d'oeil, l'espoir de voir en lui son intention de ne jamais me quitter. Je pouvais l'affirmer sans en douter : des pensées sérieuses l'enfouissaient. Le col de sa veste relevé sur sa mâchoire se dressait comme une barrière entre nous. Je le distinguais à peine et j'ai même senti qu'il le faisait exprès. Il m'apparaissait si inatteignable à cet instant... Je constatai que le jour s'était complètement couché et même l'air que je respirais me semblait s'être assombri. Déjà, nous arrivions à hauteur du restaurant et Anis s'arrêta soudainement. 

"-On y est! Ne sois pas timide et fais comme chez toi. Iman sera là pour te donner les clés." Il s'approchait pour ouvrir la porte devant moi. Ma gorge s'asséchait.  

-"Mais... Alors tu ne restes pas avec moi ?" Ce qu'il fallait comprendre, il le comprenait ça ne fait pas de doute. Je me sentais rougir. Il me fallait une parole, un geste. Anis a fait un pas en arrière, pour la première fois j'étais gênée à ses côtés. Pour la deuxième fois, je ne le comprenais pas. La distance qu'il a instaurée de cette façon me fit perdre confiance. Je me suis précipitée pour dire quelque chose :

"-Tu es sûr que je ne gêne pas Iman ?" fut la seule parole qui me vint. 

"-Tu es la bienvenue, elle voudra sûrement te parler en plus... Je t'accompagne demain pour la gare si tu veux. On se voit vers 9h ?" 

Je fis oui de la tête et presqu'aussitôt il s'en était allé. Je pénétrai dans le restaurant pour découvrir une salle déjà comble. Cette fois je reconnu les lieux, pareils à mon souvenir de la veille, je leur trouvais une beauté ternie par mon état de confusion. 


Voyage au bout de moi-mêmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant