Le jour d'avant - Partie 1

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Le lendemain matin, à mon réveil, j'étais étonnée de me souvenir parfaitement d'où j'étais. Je me rappelais aussi du moindre détail de la soirée de la veille. La nuit avait été calme et j'avais dormi profondément. J'avais l'impression de pataugé dans un bouillon de confusion. Pendant de longues minutes j'ai fixé le plafond. Je voulais trouver un moyen d'y voir plus clair comme on cherche le bout par lequel défiler une pelote de laine. J'en suis arrivée à un plan très simple : tenir jusqu'à demain matin. Une fois rentrée chez moi, je serai débarrassée de cette sensation de naviguer à l'aveugle. J'aurai de nouveau du contrôle sur ce qui m'arrive. Je retournerai à la fac, je parlerai à mes amies, je préparerai mes TD. Ma vie normale ne me manquait pas mais avoir une routine où rien d'imprévu n'arrive jamais c'est une forme de sécurité. 

Parce que mon idée d'attendre lundi matin me paraissait convaincante, je me suis levée, comme galvanisée. J'ai essayé d'imaginer de quoi serait faite ma journée. J'avais apprécié la balade d'hier, j'étais prête à revivre le même circuit. Iman m'avait expliqué avant de me laisser un peu d'intimité dans la chambre où elle m'avait installé, qu'elle serait debout dès 6h pour le service du petit-déjeuner. Je n'avais qu'à descendre dès que je serai prête. J'ai pris une douche dans la salle de bain qu'elle m'avait indiquée. Ma toilette m'a pris un temps inhabituel. Chaque geste cette salle de bain  étrangère m'apportait une réflexion inattendue. Elle et son frère m'avaient accueilli et mis l'aise. Je ne pense pas qu'avant dans ma vie on m'ait démontré autant d'hospitalité. Pourtant tout me rappelait que je n'étais pas chez moi, de la température de l'eau que je ne savais pas ajuster à la fenêtre que je ne réussis pas à ouvrir. Je redoublais de précautions pour ne rien endommager. J'ai ordonné mes affaires, les ai fourrées dans mon sac et suis finalement descendue. 


Je retrouvais la salle d'hier sous un regard neuf. La lumière du jour rendait justice à la décoration très originale du lieu que je n'avais pas remarquée hier. Je notais ça et là des tableaux de scène qui me rappelaient celles dans le restaurant de Yazid à Lyon. Le parquet au sol était par parcelle recouvert de tapis aux motifs berbères que j'avais vu là-bas. Les lieux me semblaient plus familiers maintenant que le soleil les éclairait. Dans mon souvenir une épaisse nuée ne m'avait pas quitté dans la soirée d'hier, je me sentais comme encombrée. Ce matin tout me semblait déjà plus simple. L'idée de me méfier des étrangers que j'avais rencontrés me traversait l'esprit, comme pour assombrir de nouveau mon moral qui revivait tout juste, quand j'ai vu Iman se diriger vers moi. En retrouvant son sourire si chaleureux je m'en suis voulue de penser à mal. Elle aussi me semblait plus familière ce matin, un élan d'affection me traversa et j'avais envie de lui dire merci d'être là. Je me suis retenue, je devinai qu'une pareille parole serait malvenue tant m'accueillir ne lui coûtait apparemment aucun effort et qu'elle plaçait ce geste sous une espèce de devoir supérieur d'hospitalité. Je sentais que des remerciements auraient profané ce qu'elle faisait naturellement. 

"-Bonjour ma belle, bien dormi ? Viens t'installer derrière, elle me montrait un coin de la salle reculé près de la porte de service, je vais appeler Anis." Je ressentais une gêne subite quand elle prononça le nom d'Anis. J'eus envie de la dissuader de le faire et de lui expliquer qu'il n'y avait aucune raison pour lui de me rejoindre mais là aussi j'ai su immédiatement que je ne tromperai personne. Qu'Anis nous rejoigne était entendu. 

Iman est restée quelques minutes avec moi, nous avons partagé un café et fait un peu connaissance. Elle avait fini le service tard hier et je dormais déjà quand elle m'avait rejoint. Elle était en France depuis plus longtemps que son petit frère, environ huit ans. Ce restaurant était l'affaire de son oncle, elle y faisait un peu de tout de la gestion au service. Elle avait étudié en France le management puis avait commencé à travailler tout de suite après. Anis est arrivé ensuite. Je n'avais pas repensé à son visage depuis hier mais en le voyant c'était comme si jamais son souvenir n'avait quitté mon esprit. Il s'est installé à notre table et Iman nous a quitté presque immédiatement. Elle devait reprendre le service. 

"-Comment va notre lyonnaise ce matin ?" dit-il sur un ton taquin qui me renvoya à mon épisode de larmes hier soir. 

-Tout ce qui m'arrive depuis deux jours n'est qu'embarras sur embarras, ça craint... dis-je en faisant mine de cacher mon visage derrière ma main. 

-Si tu me permets de te donner mon avis... ? Il s'était arrêté poliment et m'interrogeais du regard pour continuer, je lui faisais signe de ne pas se priver, curieuse de l'entendre toujours plus.

-Tu devrais appeler ton frère et t'expliquer avec lui tant que tu es sur Paris. Ne retourne pas à Lyon en emportant ça avec toi." Je gardais le silence quelques instants. Il avait raison sans l'ombre d'un doute. J'ai sorti mon téléphone que j'évitais soigneusement depuis hier, je savais trop que Salim m'aurait sûrement appelé plusieurs fois. Je sentais Anis m'observer discrètement pendant que je rallumais mon téléphone et découvrais 13 appels manqués de Salim. 

-Je ne suis pas sûre de vouloir régler ça maintenant." finis-je par décréter, d'un ton las. 

-C'est toi le chef! Qu'est-ce que tu veux faire aujourd'hui ?" La question m'avait surprise, jusque maintenant je n'étais pas sûre qu'Anis et moi aurions l'occasion de passer plus de temps ensemble mais je l'espérais tellement! J'avais mille questions à lui poser sur sa vie et sur ses goûts. Je n'avais jamais été pressée de connaître quelqu'un, c'était une urgence bizarre.  

-C'est toi le parisien, je te laisse me montrer ce que vaut ta ville!" Son sourire amusé me remplit d'entrain, le défi lui plaisait. Encore une fois je m'étonnais de l'empressement que je ressentais : j'avais hâte de vivre cette journée mais plus parce qu'elle me rapprochait de mon retour à la maison, parce qu'elle me souriait. 




Voyage au bout de moi-mêmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant