A Paris - Partie 2

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J'ai appelé Salim plusieurs fois de suite. Au bout du troisième appel il a décroché. J'étais en bas de l'immeuble. Sa réponse m'avait donné l'impression d'un monceau de surprise, de colère, de gêne et de confusion. 

"-Comment ça t'es en bas ? T'es sur Paris tu veux dire ? Mais, maman le sait ? Et, pourquoi tu m'as pas prévenu avant ? " J'étais décontenancée par sa réaction et terriblement gênée. J'ai eu envie de rebrousser chemin. "-J'aurais dû te prévenir mais bon... Je voulais faire une surprise! J'ai le droit de monter chez mon frère maintenant ou je dois d'abord passer par la douane ? " 

Salim est descendu m'accueillir. Je me souviens m'être dit qu'il n'avait pas vraiment changé mais c'est idiot, ça ne faisait que quelques mois qu'il s'en était allé. Je pense aujourd'hui que je traquais la trace d'un autre changement, celui que ne montraient pas son jogging, ses tong, son tee-shirt blanc. Il m'a embrassé chaleureusement. J'avais l'impression, alors même que ce que je voulais c'était seulement profiter de cette étreinte, qu'il me serrait fort pour me protéger par avance de ce qu'il ne maîtriserait plus ensuite. Dès cet instant, ce qui suivrait n'avait plus vraiment d'importance. J'avais compris que rien n'irait comme je l'avais prévu mais je devais cependant rester pour le découvrir. 

J'ai dit deux-trois choses de circonstances, j'ai raconté comment j'étais arrivée depuis la gare jusqu'à chez lui. Nous sommes montés au 4ème étage et il m'a ouvert la porte sur son appartement. Je cherchais Sonia du regard en faisant mine de m'intéresser à son petit logis. C'était minuscule et terriblement vide mais propre et ordonné. De grandes boîtes en plastique contenaient encore leurs vêtements et des objets divers. Un odeur  très féminine enveloppait tout l'appartement. Je recherchais le matériel de mon frère, je m'attendais à retrouver sa chambre, mais déplacée à Paris. Je ne voyais ni son ordi, ni son casque, ni ses claviers, ni son synthé, ni rien.  Pour camoufler mon étonnement, je dis seulement que c'était mignon et propre. Il sourit et je retrouvai alors une expression que je connaissais : il savait ce que je cachais. Il posa alors mon petit bagage dans un coin de l'entrée et m'invita à m'installer autour de la table du petit salon. Je m'apprêtais à me déchausser quand il me fit signe de ne pas me donner la peine. Je me souviens avoir blagué sur les bonnes manières inculquées par maman qui s'étaient bien vite envolées. J'y pense maintenant et je me trouve stupide et naïve. On a échangé quelques mots rapides puis il en est venu au fait :

"Il est 23h30 Sonia ne va plus tarder à rentrer. Tu sais, elle ne va pas apprécier que tu sois là sans avoir été prévenue. En plus, c'est petit ici comme tu vois. Le mieux c'est que je te trouve un endroit où passer la nuit et on se verra demain à la première heure."

Je trouvais son air piteux vraiment dégoûtant. J'ai posé quelques questions pour m'assurer d'avoir compris correctement ce qu'il me disait. Mon esprit s'est empli rapidement de plusieurs scénarios possibles en guise d'issue à cette scène. Je me demandais, entre chaque insulte que je m'imaginais lui lancer, si je n'en faisais pas trop. Après tout, peut-être que j'exagérais. Peut-être qu'il n'y avait rien de grave à ce que mon frère me propose de passer la nuit ailleurs que chez lui parce que sa femme n'avait pas été prévenue de ma venue. L'excuse de la place qui manquait, à d'autres! Le canapé aurait parfaitement fait l'affaire. J'ai dit comme un coup que je lui assénais : "J'aurais donc dû attendre un carton d'invitation de la part de Sonia pour pouvoir dormir 2 nuits sur le canapé de mon frère". Il resta silencieux. Immédiatement, je m'en suis voulue mais j'étais confuse sur ce que je devais faire ou pas. Visiblement, il ne voulait pas non plus ce qui se passait. 

"-Si j'avais pu faire autrement, tout aurait été plus simple. Mais je t'assure, si elle te découvre ici à son retour, c'est toi qui m'en voudras de pas t'avoir proposé d'aller ailleurs." Dit-il, misérable. 

Je réfléchis un instant. J'allais m'en aller, ça ne faisait pas de doute mais j'hésitais à lui dire avant le fond de ma pensée. Une règle me régit : si je dois parler sérieusement alors je dois parler peu. Plus les mots coulent et plus le sens se perd. Or, à cet instant, je n'aurais pas pu empêcher que s'écoulent toute ma colère et tout mon dégoût contre mon frère. J'étais décidée à parler quand j'entendis des clés dans la serrure. Salim ne bougea pas, il ne tenta pas une dernière fois de m'inciter à partir. Je pense qu'il s'apprêtait à accueillir la situation, quelle qu'elle serait. J'ai donc réuni en moi mon courage et me suis levée. J'ai mis ma veste et ravalé mes émotions. Rien ne paraissait, j'en étais sûre. Moi-même, j'ai cru pendant un instant que tout allait bien. Alors que Sonia entrait, je sortais de mon sac à dos le paquet de mes parents et la clé usb pour mon frère. Je gardais pour moi la palette, en cet instant pathétique, j'avais eu l'impression de tenir une forme de vengeance. Puis je me suis levée et suis allée, l'air enjoué, m'annoncer à la maîtresse de maison qui ignorait encore ma présence. 

"Hey, salut, salut! Comment ça va ?" Je n'ai même pas prêté attention à son expression en me voyant. Elle me rendit mes salutations mais je la laissai à peine terminer. 

"Je passe en coup de vent pour vous apporter un petit quelque chose pour la maison de la part de mes parents. J'allais m'en aller, je suis en transit pour un voyage en fait." 

Sonia regarda mon frère, visiblement confuse. Elle me demanda pour quoi ne pas avoir prévu plus de temps à Paris, qu'elle puisse me faire visiter. 

"Y'a des belles choses à voir, tu aurais aimé. C'est dommage!" ajouta-t-elle, en dégageant le passage pour me laisser sortir. 

Salim enfila un gilet et s'apprêtait à me raccompagner quand je l'interrompis. "T'inquiète, j'ai commandé un uber, il est déjà là. Bonne soirée!"  

Je les ai quittés sans répondre à ce que l'un et l'autre me disaient. J'avais l'impression d'avoir fourni la bravoure que Salim attendait de moi mais je ne pouvais pas plus. Une fois dans la rue, j'ai marché, traîné mon bagage pendant des mètres et des mètres. Je pensais qu'il fallait pleurer mais rien ne venait. Je n'étais pas triste, j'étais perdue. Il était presque minuit, les rues étaient vides mais les rares personnes que je croisais devaient penser que je me rendais là où j'étais attendue, étant donnés mes bagages. C'était rassurant de se dire que personne ne pouvait se douter de ce que je vivais. Je faisais mine d'être pressée et je marchais vite, sans but, les yeux rivés vers le sol. Une personne qui se rend quelque part regarde droit devant elle, elle recherche son but; mais une personne qui n'a pas de but regarde ses pieds comme si c'étaient eux qui décidaient de la destination. C'est ce que je pensais, alors j'ai levé les yeux et recherché un hôtel, quelque chose. Salim m'envoya alors un texto "tu as une réservation à l'hôtel B&B, vas y je t'appelle demain." 


Voyage au bout de moi-mêmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant