Si je ne sais pas où je dois aller...

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Il y a une chose que je sais bien et sur laquelle vous serez tous d'accord avec moi : on ne finit jamais vraiment de devenir qui l'on est.  Avec chaque jour nouveau on collecte, ça et là, des morceaux  encore inconnus de notre identité. Un jour le voile des choses que l'on ignorait hier se lève, et ces choses que l'on découvre alors nous façonnent. Puis la somme de nos expériences nous suit et nous accompagne pour que l'on y voit mieux et plus clair. Finalement, si je dis qu'on n'a jamais fini de devenir la personne qu'on est, c'est parce que tant que nos pieds foulent cette Terre, alors rien n'est encore fini et il est toujours possible d'ajuster notre vision de la vie en quelque sorte. Moi, je savais clairement ce que je voulais mieux voir, je voulais mieux me voir. 

Comprenez-moi! Il n'est pas question d'améliorer l'estime de moi-même. Je voudrais seulement avoir l'image de moi la plus juste qui soit. Un jour, je me suis demandée ce que je savais déjà sur moi. Je sais où je suis née. Où ma mère et mon père sont nés même si je n'y suis jamais allée. J'ai une idée de ce que les gens pensent de moi. Je réussis à être attentive à ce que disent les regards. Je voyais donc que j'étais à ma place dans mon environnement. Dans le regard des gens, rien ne justifie les questions que j'ai quand même commencé à me poser. Depuis quelques temps, environ sept mois, je recherche un sens à la vie que je mène; et il m'est arrivé, plusieurs fois, de frôler cette inconnue! Vous avez déjà senti monter en vous une angoisse qui n'a ni nom ni cause ? Pas de nom, parce que je ne la comprends pas et je ne la connais pas. Pas de cause, parce que j'allais bien et j'étais bien là où j'étais et comme je vivais! J'ai pensé, et j'ai pensé encore à ce qui m'avait fait basculé vers la recherche de l'inconnu. Le meilleur des résultats que ces longues heures à penser m'ont apporté, c'est que je suis à la recherche d'une direction pour ma vie. Est-ce que, arrivé à cet endroit de la lecture, vous me prenez pour une personne perdue ? Je ne pense pas que ce soit le cas. J'ai commencé à sentir qu'il me fallait quitter ce que je connaissais déjà pour aller trouver mieux. Tout le monde recherche ce "mieux" alors tout le monde doit me comprendre! Même si vous n'avez jamais senti aussi intensément que moi cette attraction. 

J'étais chez mon amie Farah. On travaillait sur un projet pour la fac et on recherchait une façon un peu originale de commencer le travail. Le thème c'était le "peuplement de l'Afrique du nord". Farah voulait construire un powerpoint qui commencerait par une projection de mini-interviews de personnes qui étaleraient leurs préjugés sur le peuplement du Maghreb. "Tu comprends, ça nous donnerait une bonne base pour nous lancer! Il suffirait seulement de prendre les idées fausses des gens et de les déconstruire une à une!" m'avait-elle dit. Je trouvais l'idée bonne mais j'étais gênée. En fait, on aurait tout aussi bien pu me faire parler moi-même pour commencer le projet. "Tu sais que j'y connais pas grand chose non plus à ces histoires de peuplement du Maghreb... En vrai, c'est plutôt malhonnête de faire passer les gens pour des incultes alors que moi-même je suis un zéro pointé sur la question..."Elle semblait réfléchir à la meilleure façon de me dire que mes défaillances sur l'histoire de mes origines ne suffiraient pas à lui faire abandonner son idée. Elle sourit avec malice :" ce que toi tu ne sais pas encore, personne n'en est témoin! On va dire que ça reste entre nous! Ceci dit, je ne crois pas qu'un seul devoir de la fac t'aura été aussi utile que celui-ci! C'est peut-être ce qui va le plus te rapprocher de ton pays d'origine. Sérieux, c'est la honte!" J'éclatai franchement de rire. "Même pas, quand je suis descendue à Marseille j'ai nagé. Je crois que c'est à ce moment là de ma vie que j'étais le plus proche de l'Algérie." Elle et moi, on a ri. C'était loin d'être la première fois que Farah, ma copine de fac panafricaniste marocaine, me glissait un mot sur l'absurdité de ma situation. A 23 ans, jamais je n'avais vu l'Algérie, le pays d'origine de mes parents. Elle n'insistait pas cependant. En fait, je pense qu'elle s'était fait une image de ma famille et moi comme des Algériens "francisés" sans attache. Je n'aimais pas l'idée mais ça n'affectait pas nos relations. Surtout, je n'avais rien pour m'en défaire et elle me collait à la peau depuis toujours. On a finalement décidé de cacher mon ignorance et de sélectionner un panel de personnes que l'on connaissait pour aller les interroger. "Je vais demander à ma voisine Nacera de répondre à mes questions. On va bien rire, tu crois qu'elle tiendra 5 min avant de commencer à me servir son roman national sur la guerre d'Algérie ?". Je réfléchissais à la personne à qui j'allais poser mes questions. Je pensais avoir trouvé plus drôle encore que Tata Nacera... 

Voyage au bout de moi-mêmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant