A Paris - Partie 3

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Mes parents n'ont pas étudié. Parfois ils s'en trouvent embarrassés pour justifier des leçons qu'ils voudraient me faire, comme si maintenant que je suis universitaire j'avais mieux compris la vie qu'eux. Je crois que dans ces moments-là c'est moi la plus gênée, je voudrais leur dire que la sagesse ne s'enseigne pas mais se découvre mais le leur dire serait malvenu car je serais alors la donneuse de leçon et, précisément, je ne veux que valoriser les leurs. Je les écoute donc et je retiens leurs idées, s'en m'attacher sur les "tu sais, ton père n'a pas étudié mais..." 

Et parmi les leçons de mes parents, une m'a particulièrement servie cette nuit-là : "on aime et on pardonne à sa famille mais on ne compte que sur soi dans la vie". J'ai donc passé des heures à me dire qu'il y avait plus grave, que je ne pouvais pas être en colère parce que d'abord je ne pouvais rien faire de cette colère qui m'aiderait à aller mieux et ensuite parce que si j'avais mieux écouté les signes j'aurais pu comprendre que je n'étais pas la bienvenue. Il m'a fallu cette claque pour recevoir le message et maintenant que la douleur n'était plus aussi vive que lorsque j'avais Salim et sa vipère de femme devant moi, je m'étais calmée. J'aime mon frère. Je n'aime certes pas le voir misérable et soumis mais c'est la deuxième partie de la leçon de mes parents qui trouve à s'appliquer ici : "chacun pour soi dans la vie, famille ou pas". Salim a fait son choix et s'il ne s'en est jamais plaint, c'est qu'il y tient. Je ne m'en mêlerai pas. Je n'en parlerai même pas à nos parents. De toute façon, ils ont en partie compris le manège, j'en suis sûre. Ce qui m'importait alors c'était de savoir quoi faire de mon temps dans la capitale. Je me suis levée vers 8h, j'ai fait ma toilette et suis tranquillement sortie de l'hôtel. J'ai appelé ma mère et lui ai assuré avoir passé une bonne nuit mais ne pas pouvoir m'étendre au téléphone parce que "tout le monde dormait".

Dehors j'ai eu le sentiment d'être projetée dans un bouillon effervescent et de n'être là que pour observer. Autour de moi chacun s'activait, des personnes visiblement en route pour travailler dans des bureaux marchaient rapidement, s'arrêtaient brutalement au passage clouté puis traversaient la route en toute hâte pour disparaître dans la descente vers le métro. J'étais étonnée cependant de constater un certain calme dans toute cette agitation. Les gens se pressaient, mais calmement. Je regardais aussi les employés de la ville qui terminaient de nettoyer les trottoirs, d'emporter les sacs des poubelles, de débarrasser le quartier des personnes sans abri qui, je l'avais vu hier, s'installaient le soir venu dans les entrées d'immeubles et n'importe où ailleurs. Seuls les scooters et les bus osaient klaxonner. Je leur en voulais presque de percer si brutalement le réveil de la ville. J'avais l'impression qu'ils incitaient tout le monde à se souvenir qu'un nouveau jour commençait et qu'il fallait se dépêcher de le vivre jusqu'au bout. Moi, je descendais la rue en fuyant les centres où je ne voyais qu'une activité sans couleur, industrielle. J'étais en quête des lieux touristiques, autre forme d'industrie mais au moins, de loin, on peut s'y plaire. 

J'ai marché un certain temps et j'ai rencontré des noms qui sonnaient familiers. J'ai traversé par exemple Belleville j'ai eu l'impression d'être en pérégrination dans l'univers de la musique urbaine. J'avais rêvé de faire ce genre de promenade avec Salim qui comprendrait mes sentiments. Finalement, après avoir marché plutôt longtemps je suis arrivée dans le 1er arrondissement. J'ai alors trouvé Paris beau pour la première fois. J'étais touchée de la douceur de la lumière sur les bâtiments si typiques. Le cours de la Seine sur le pont que je parcourais m'écartait de mes tristes souvenirs de la nuit passée. J'étais transportée et me sentais connectée à l'Histoire à chaque pas que je faisais sur le sol pavé. Mais parce que je commençais à sentir sérieusement la faim, je me suis attablée à un petit bistrot et ai demandé un café et un croissant au beurre. Je me suis enfin sentie à Paris. Quand Salim a essayé de me joindre, j'ai décliné l'appel, décidée à donner le sens que je voulais à mon court séjour. Je le verrai plus tard et du temps pour finir de réfléchir n'était pas de trop de toute façon. 


Voyage au bout de moi-mêmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant