Un jeu auquel je ne jouerai pas

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Iman était en plein service, il était aux environs de 19h30. En me voyant elle sourit avec sincérité, m'adressa deux-trois paroles que je ne compris pas vraiment, je n'ai fait que saisir la petite clé du studio qu'elle me tendait et me suis échappée pour trouver un peu de calme. Anis m'avait conduite à la porte du restaurant et s'en était allé, c'était tout! J'avais sérieusement besoin de solitude pour comprendre l'impression de vide qu'il me laissait. Et s'il était encore à mes côtés, je n'aurais eu besoin de rien. C'est le vide qu'il avait créé en moi quand il s'en était allé qui me rendait avide de sa présence. Il me manquait. Est-ce que je préférais cet état à la panique qui m'avait saisie hier ? Je me posais la question sérieusement, jamais de ma vie je n'avais vécu une expérience pareille. Etre pressée de connaître quelqu'un ? Se sentir vide quand il s'en allait ? Espérer qu'il se passe quelque chose qui donnerait une suite à... à quoi déjà ? Je détestais tout ce qui m'arrivait. Je voulais me retrouver telle que j'étais avant ce tourbillon parisien. Ma vie était tranquille et maintenant je ne me reconnaissais pas. Hier je me sentais étrangère aux yeux de mon frère, aujourd'hui j'étais étrangère à moi-même. Et ce que je voulais le plus retrouver n'était ni mon frère, ni ma vie d'avant, c'était Anis.  Un mot a traversé mon esprit et j'en frissonnais... Amoureuse ? 

Je ne pense pas qu'on puisse dire que j'ai déjà été amoureuse. Je n'avais même jamais pensé à l'être ou à le devenir un jour. En fait, c'était une forme de débilité que m'évoquait l'idée d'aimer profondément un garçon. En en discutant un jour avec une amie on était arrivé à la conclusion que c'est la proximité avec mon frère qui avait fait de moi une allergique aux histoires d'amour. Salim avait fréquenté plusieurs filles et chaque fois qu'elles s'amourachaient un peu trop elles insistaient pour me connaître ou pour rencontrer ma mère. Toutes croyaient que me connaître donnerait un peu la brillance de l'officiel à leur couple. Elles étaient très loin du compte et Salim collectionnait les conquêtes et se débarrassait en un tournemain des pauvrettes qui finissaient toutes par l'encombrer. S'il attendait qu'elles l'aiment sincèrement pour les larguer est toujours une vraie question pour moi... J'ai vu chez certaines de ces filles des états de faiblesse qui s'approchaient de la folie quand leur histoire battait de l'aile. L'une d'elles en particulier m'avait harcelé au moment de la rupture pour savoir où était Salim, s'il parlait d'elle, si je pensais qu'il pensait à elle. Je voyais mon frère rentrer comme chaque jour, manger, se laver et se perdre devant ses claviers et ses instruments comme si de rien était alors qu'une fille pleurait pour lui. Je ne comprenais pas cette attitude. Etre si cruel, faire pleurer une fille ce n'était pas Salim tel que je le connaissais. J'ai fini par comprendre qu'en tant que jeune homme il devait fréquenter des filles. Ses amis le faisaient, son rap en parlait, c'était juste une activité à avoir! Avoir "une meuf", sortir ensemble, c'est ce que lui et ses potes faisaient avec des pauvres nanas qui ignoraient que leur histoire de couple n'était qu'une partie de ping-pong sur un terrain miné... Et leur coeur servait de balle, un jour ou l'autre il exploserait. Je me disais qu'au jeu de l'amour les garçons ne savaient pas jouer sincèrement. J'avais trop vu de filles perdre la partie face à mon frère, le vainqueur nonchalant pourtant ni mauvais ni méchant. C'était juste un jeune homme qui devait jouer comme tous les autres. Sur cette pensée je réalisais soudainement que le vent avait tourné pour Salim et c'était bien Sonia qui soufflait le chaud et le froid maintenant au point d'avoir conduit mon frère à s'installer à Paris et à s'éloigner de sa famille. Je soufflai longuement comme un grincement de désolation et de chagrin. Je palpai la poche avant de mon sac qui renfermait mon téléphone. Je ne voulais pas parler à Salim, je ne voulais pas être amoureuse si c'était son amour pour Sonia qui l'avait rendu si faible. 

Hier je pensais à mon retour comme à la porte qui se fermerait derrière une mauvaise expérience, il me fallait tenir jusqu'à monter à bord du train qui me conduirait à ma vie normale. Je voulais que ce séjour s'égraine et n'en emporter que des souvenirs fades sans incidences sur la suite de ma vie. Mais le temps ne me sauverait pas. Le temps était dans le camp de ce destin qui me malmenait depuis deux jours. Hier je croyais que tout n'était qu'une question de temps avant de retourner à ma vie d'avant et maintenant je réalisais que rien ne serait plus comme avant. Pire, dans quelques heures je prendrai le train pour quitter Anis. Le sentiment que rien ne devait se passer comme cela me perturbait, il ne me lâchait pas. Je savais que je partirai pas sans qu'une étape imprévue ne me surprenne encore. Comment je le savais ? Je le sentais. C'était plus grand que moi.





Voyage au bout de moi-mêmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant