Avant le départ pour Paris

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J'avais eu Salim au téléphone. Il m'appelait parfois sur le chemin du retour de son boulot. J'ai eu l'impression gênante qu'il profitait de ces trajets pour nous contacter, ma mère et moi, sans que sa femme soit dans les parages. Malgré ce sentiment un peu confus et un peu gênant, je lui ai annoncé que je pensais sérieusement à venir les visiter, peut-être le week-end prochain. Bien sûr, il m'a assuré que j'étais la bienvenue et qu'on allait bien s'amuser, :"T'inquiète, je vais te mettre bien! Préviens moi seulement à l'avance."

A peine avais-je raccroché de notre appel, j'avais saisi mon ordi pour jeter un coup d'oeil aux prix des voyages en train Lyon-Paris. On était en mars, hors vacances scolaires, j'ai rapidement trouvé une offre quasiment donnée à 15 euros. Je sautai sur l'occasion et, sans prévenir Salim, j'ai fait la réservation. Le départ se ferait vendredi au soir pour un retour lundi soir. Je raterai deux cours magistraux mais Farah m'enverrait de quoi rattraper mon absence. J'étais heureuse à l'idée de passer quelque temps avec mon frère et en attendant de l'avoir en face pour se dire tout ce qu'on avait raté de la vie l'un de l'autre, je prévoyais de déjeuner ce midi avec mes parents. 

Mon père et ma mère forment un duo assez loufoque. Je ne peux pas vous dire s'il leur arrive de se disputer, demandez-moi plutôt s'il leur arrive de s'entendre. Et pourtant, ils aiment sortir ensemble, ils aiment regarder un film ensemble, ils aiment même demander l'avis de l'autre. Ils le déconstruisent de suite mais ils ne font rien sans se tenir au courant. On avait ce petit rituel, quand par hasard on était tous à la maison un midi avec une heure ou deux devant nous, mon père nous entraînait dans un petit restaurant-bar tenu par une famille kabyle au coin de notre rue. Mon père y passait la plupart de ses soirées. Il y retrouvait ses amis de longue date, il s'en faisait régulièrement de nouveaux. Il rentrait vers 21h30  à la maison et s'il ne trouvait pas ma mère dans son fauteuil qui l'attendait pour l'accueillir sans une parole mais au moins lui jeter un regard qui disait "ah te voilà!", il s'inquiétait. Il tapait à la porte de ma chambre et passait sa tête dans l'ouverture pour me dire "ça va ta mère?", et puisque son absence pour l'accueillir ne voulait pas dire que ça n'allait pas, je le rassurais et il montait dans leur chambre s'en assurer lui-même.

Au restaurant, le chef de salle ne nous demandait plus ce qui nous ferait plaisir, il nous connaissait bien maintenant. Il demanda des nouvelles de Salim, de la santé de ma mère, de la réussite de mes études. J'aimais cet endroit parce que on y passait des moments simples. Le propriétaire ramenait de ses voyages au pays de petites reliques qu'il disposait sans ordre ni plan esthétique apparent dans la salle. Là une chèvre naine empaillée, là un instrument de musique inconnu, là des petites sculptures de femmes aux habits bigarrés qui tenaient un métier à tisser. On ressentais l'attachement du maître des lieux pour ses coutumes et sans les comprendre ou les connaître on s'en empreignait quand même.  Une fois les plats servis, j'annonçai à mes parents mon départ pour Paris le lendemain soir. 

"-Tu l'as dit à Salim et sa femme ?" m'interrogea mon père. C'était étonnant que mon père, d'un naturel assez flegmatique et surtout, malgré son plat sous le nez, réagisse avant ma mère. C'était étonnant qu'il m'interroge tout court en fait. 

-Il sait que je planifiais un week-end chez lui, je lui ai dit que je viendrais peut-être dès cette semaine mais il ne sait pas que j'ai finalement acheté les billets."

Ma mère ne disait rien et ma mère n'est pas du genre à ne rien dire. Je la pressai d'un regard interrogateur. Mon père avait recouvré sa passion pour son assiette et se détournait de la conversation. 

"-Je me trompe où ça ne vous plaît pas que j'aille voir Salim ? D'ailleurs, pourquoi vous n'y êtes pas allés vous-mêmes avant ? 

"-On connaît déjà Paris." Me dit ma mère comme si ma question portait sur ma destination et non sur mon frère. Je décidai de ne pas insister mais je laissai suspendu sur notre table mon incompréhension qui finit par ennuyer mon père. 

"-C'est bien que tu ailles voir ton frère. Sois gentille et prends un petit quelque chose pour..." 

-Sonia", vint compléter ma mère, "J'irai t'acheter un petit panier pour Sonia. "



Voyage au bout de moi-mêmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant