Anis m'a conduit dans des rues colorées du 12ème arrondissement, dans le passage du Sentier il me racontait des histoires drôles. Puis nous avons déambulé à Montmartre et dans le quartier Saint-Michel. Ni lui ni moi n'avions faim à l'heure du déjeuner alors nous ne nous sommes arrêtés de marcher que vers 16heures. J'étais éblouie par la vue de l'île de la cité depuis un pont que nous traversions, je ne saurais le nommer. A cet endroit j'ai dû avouer que Paris était un conquérant. Chaque quartier que nous traversâmes m'avaient ôté un peu de ma peine, un peu de ma crainte. Anis notait ma joie et j'aurais dit qu'il la partageait et même s'en réjouissait. A aucun moment il ne m'a demandé de montrer mon intérêt. Pour chaque chose qu'il pointait du doigt il laissait comme planer dans l'air une petite note qui donnait du sens à la visite. J'étais impressionnée par tant de connaissances historiques et en histoire de l'art. Quand il me vît ralentir le pas, il se tint à mes côtés et regarda dans la même direction que moi. Un coup d'oeil en coin me renseigna : pour lui aussi la vue était grandiose.
"-J'ai une histoire ou deux de Carolingiens sur l'île de la cité à te raconter si tu veux mais pour l'instant je pense plutôt qu'un burger serait le bienvenu, non ?
-Aller! Mais dis-moi d'où tu tiens toutes tes histoires sur Paris! T'es un vrai guide!" Dans ma voix s'entendaient mon admiration et ma gratitude, cette journée avec Anis avait été superbe. Il m'a donné à voir toutes les choses que j'auraient manquées dans un circuit classique de touriste. Tandis que je le suivais il m'en dit plus sur lui et je lui donnais toute mon attention :
-"J'ai étudié un peu l'architecture à la fac en Algérie, à Tizi ouzou si le nom te dit quelque chose -je faisais oui de la tête, j'ai plusieurs copines originaires de cette ville- et au bout de deux ans j'ai voulu arrêter. Les étudiants étaient souvent en grève, puis l'administration puis les profs, j'étais entré motivé et ils m'ont fait perdre l'envie de réussir. Tous mes amis étaient déjà à l'étranger, à Houston, Montréal, Londres ou Lille. J'étais le seul qui avait voulu tester les études en Algérie..." Il rit doucement d'un air désolé, je ne pouvais que faire mine de comprendre. Il s'arrêta dans son récit un instant, j'espérais très fort qu'il ne me croit pas trop loin pour comprendre, puis poursuivit :
"-J'ai parlé à mon père... -il jeta un regard furtif vers moi et semblait hésiter- il connaît pas mal de monde, des gens qui peuvent rendre des grands services, des choses impossibles pour la plupart des Algériens. Et il a réussi à m'obtenir de faire mes études en France. C'était facilité parce que j'avais étudié au lycée français d'Alger. Je suis donc rentrée à l'école d'urbanisme de Paris. Après mon master j'ai fait un stage qui s'est terminé il y a quelques semaines. Maintenant je pense à la suite, iferedj rabbi! Tout ça pour te dire, je connais bien l'histoire de Paris parce que c'était au programme de la licence. Ça m'a jamais vraiment servi d'ailleurs, jusqu'à aujourd'hui."
J'ai ri de bon coeur même si j'étais sûre qu'il ne le pensait pas vraiment : une pointe de passion et sa vivacité à chaque objet me disaient clairement qu'il aimait parler de ce qu'il savait sur Paris.
"- Je dis merci au programme de ta licence! J'ai passé un bon moment!" Je le pensais tellement, je voulais qu'il le sache. Il me donna l'impression d'encaisser une mauvaise nouvelle. Il aurait fallu qu'il me dise, d'une manière ou d'une autre, qu'il le pensait aussi, j'étais sûre que c'était le cas, mais il n'a fait que porter son attention sur le lointain, mettant un terme brutal à cet instant de confidence. Cette réaction me laissa sans voix.
Le souvenir de la veille me revînt, où sans échanger un mot on s'en était dit des milliers. J'étais pressée d'enfin discuter franchement avec lui mais je réalisais en fait qu'il était silencieux à dessein. S'entendre mieux dans le silence qu'en prononçant les mots qui disent les choses... J'étais perturbée, je me demandais si le souci venait de moi. J'étais vexée aussi, j'avais fait une forme de déclaration, il ne pouvait pas juste l'ignorer! Et puis, s'il était changeant et bizarre, je ne vois en quoi j'en étais responsable. Je décidai de ne pas y penser plus longtemps mais aussi de ne plus faire le moindre pas vers lui. On passait un bon moment jusqu'à que je dise que le moment était bon. S'il fallait se taire pour ça dure alors soit!
En chemin vers l'adresse qu'il avait en tête, il raconta finalement son histoire de Carolingiens sur l'île de la cité et j'appréciais de l'entendre de nouveau. La discussion a continué sur les profs d'histoire qui nous avaient marqué et on s'amusait vraiment à ressortir nos vieilles anecdotes du placard. C'était du soulagement de l'avoir retrouvé. On arriva devant un restaurant qu'il connaissait, Anis a insisté pour choisir mon menu. Je me suis prêtée au jeu, j'aime à peu près tout donc le risque n'est pas grand. On s'est installé et la conversation a suivi son cours. On parlait si facilement que je me demandais si jamais dans ma vie j'avais eu tant d'aisance à discuter avec une personne. Je voulais que ça ne s'arrête pas et j'avais cette crainte tapie dans l'ombre qu'il trébuche sur un mot que je dirais sans me douter qui le ferait tomber dans le mutisme. Le burger qu'il m'a choisi était délicieux même si le pari était osé : figues confites et noix, je n'aurais pas osé!
-"Ah! Maintenant je peux dire que tu es la bonne! Je suis le seul à trouver cette combinaison extraordinaire! "
J'avais entendu cette parole et s'il avait fallu que je prétende la surprise je n'aurais pas pu. Ce qu'il a dit n'a fait que me le confirmer : lui aussi avait compris qu'entre nous quelque chose de spécial se passait. Il pensait à moi comme je pensais à lui. J'ai souri, sans savoir que dire qui ne trahirait pas ce que je pense.
VOUS LISEZ
Voyage au bout de moi-même
ContoCommencer à fouiller l'histoire de ma famille et de nos origines n'était pas dans mes projets. Après tout, on vivait en paix... Mais la paix ce n'est que quatre lettres pour un concept vite envolé si l'on commence à poser des questions, si l'on est...