5 - J'espère que c'est juste la pression du match

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Posée dans un canapé, j'observais les joueurs en coin, et lisais une revue scientifique que j'avais trouvée dans les limbes de l'aéroport parisien. En bruit de fond, je les entendais se plaindre de triche et de coups bas. Ç'avait toujours été pour moi une musique rassurante, je savais qu'ils allaient bien et si un jour passait sans, c'était qu'il y avait danger, ainsi l'entendre me donnait chaud au cœur. Je ne m'y joignais que rarement au Sahel, mais je m'en dispensais volontairement, je ne vivais pas les mêmes émotions qu'eux, m'incruster me paraissait déplacé.

Mon téléphone sonna, je jetai un bref coup d'œil, mon frère m'appelait. J'hésitais à répondre, le moment que je vivais était précieux mais lui tout autant.

_ Allô frérot ?

_ Hey! Alors?! Raconte?!

_ Tu veux un scoop?

Il éclata :

_ Quoi?!

Je répondis :

_ Et bien ils sont humains.

_ Arrête, non mais plus sérieusement ? Dis-moi. Il me parut légèrement vexé, je regardai les motifs bruns de la moquette.

_ Je les aime bien pour le moment, le staff, les joueurs, tout le monde. Et les lieux, j'y repensai en m'enfonçant inconsciemment dans mon fauteuil, c'est tellement plus confortable que là-bas. Un rire traversa le combiné.

_ Tu m'étonnes.

Un blanc survint. De sa voix d'enfant il ajouta:

_Et euh... hésita-t-il, Griezmann il est aussi beau en vrai?

Mon rire déchira le hall. Je le stoppai net n'ayant pas considéré l'option qu'on travaillât encore quelque part. Félix essayait d'obtenir sa réponse, mais rien n'y fit, je riais en silence. Plusieurs secondes s'écoulèrent, je me repris en essuyant l'humidité au coin de mes yeux. Je tâchai de contrôler ma respiration et continuai:

_ Comme en photo, à toi de juger.

_ Donc il est beau gosse quoi, me coupa-t-il.

Les bruits de fond s'intensifièrent jusqu'à me parvenir parfaitement, j'entendis mon frère qui s'excitait au bout du fil. Mbappé étaient en train de tenir Florian afin que Thomas lui donnât une pichenette sur les oreilles.

_ C'est eux?! je bruitai un machin affirmatif. Tu as tellement de chance sœurette... M'avoua-t-il.

_ Je sais Félix.

Je me rendais compte petit-à-petit de cette chance, des millions de gens se seraient battus pour l'avoir, et on me l'avait donnée sans rien avoir demandé, c'est elle qui m'avait appelée. Je restais là pensive répétant « Je sais Félix. Je sais. ». Au fond je ne réalisais pas. Ça différait tellement de mon environnement habituel.

Je rejoignis mon lit d'un pas lent, vêtue de mon pyjama poivre et sel en coton. D'un geste épuisé je tirai la couette, me glissai lentement sur le matelas et m'enroulai comme un saucisson sec, la chaleur m'enveloppa. Je pris aussi le temps de savourer la sensation de mes muscles qui se relâchaient un à un, s'abandonnant à tout effort inutile. Je pensai aux personnes que j'avais rencontrées aujourd'hui, toutes étaient dotées d'une bienveillance qui me touchait. Je revis leurs visages, chacun d'eux, les choses qu'ils m'avaient dites, les regards complices que j'avais surpris, les sourires innocents qui m'en avaient arraché un. La collocation ici me paraissait réussie, bien que travaillée sur plusieurs points. Ce n'était pas naturel, non, loin de là, mais penser comme ils s'appliquaient à le faire, penser à ses coéquipiers, à son kiné, à son cuistot, savoir qu'ils aidaient quoi qu'il puisse arriver, ça, c'est ce qui maintenait le bateau à flot. Ce n'était encore que le début, mais ils partaient sur des bases solides. Durant de longues secondes j'expirai l'air qui restait dans mes poumons, comme si je voulais tout oublier, je me séparais de tout ce que j'avais vécu dans la journée. Mes paupières se fermèrent automatiquement, je ne luttai pas et sombrai dans un sommeil qui m'avait lourdement manqué les jours précédents.

Une victoire pour oublier la guerre | R.Varane & les BleusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant