11 - Didier venait d'éructer

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Après le repas j'avais attendu une heure et j'étais descendue dans la salle de sport. Quand je l'avais découverte pour la deuxième fois et après ces premiers jours intenses mais pourtant si dépourvus de mouvements, mon corps avait réagi instantanément. Mon énergie non-dépensée avait fourmillé dans tous mes membres, jusqu'aux chevilles qui s'étaient avancées vers un tapis roulant. Ainsi je courais depuis un quart d'heure, je ne pensais pas, et je me mouvais machinalement pour éviter d'être emportée par la vitesse.

Une demi-heure passa, je commençai à avoir vraiment soif. Je déconnectai la marche et j'en descendis. Je suai à grosses gouttes, mes yeux me piquaient lorsque l'une d'elle les intoxiquait. Je m'épongeai à l'aide d'une serviette. Avec la sensation de chaleur et d'effort intense, mon cerveau me situa dans la zone Sahélienne. J'aurais aimé y être, voir ce qu'il en était du camp, du groupe, il en avait dû se passer des choses. Malheureusement dans la presse on ne retrouvait que très peu d'informations et les communications étaient restreintes et je n'étais une priorité. Je m'appuyai maladroitement sur la fontaine d'eau fraîche et soufflai. Ensuite je décrochai du mur une corde à sauter et me retrouvai en enfance, devant, derrière, croisé, de plus en plus vite, jusqu'à ce que je me prisse les pieds dedans. Et rebelote. Je suivis cette boucle jusqu'à ce mon corps en eût marre. Finalement j'arrivai à bout de mon dernier exercice, mais le faire seule, sans mes acolytes d'unité me mit le bourdon. Je m'étais habituée à faire du sport en groupe, avec eux, avec leurs réflexions et leurs défis étonnants pour passer le temps. En Russie, bien qu'on m'eût mise à l'aise, ça n'avait rien à voir avec la relation de six mois que j'avais vécu il y a si peu. Ce qui m'étonna c'est que j'eusse apprécié le fait que personne n'eût fait irruption durant ma séance de sport. J'avais bénéficié de la salle dans sa plus grande tranquillité, m'abandonnant ainsi à des pensées profondes et sans intérêt.

En rejoignant ma chambre, crasseuse comme je l'étais, je tombai sur Eric. Il esquissa un sourire en me dévisageant.

_ Ça t'as fait du bien? je me contentai d'affirmer de la tête en soufflant d'exténuation. Je crois que tu n'as plus aucune ressource de glucides, tu devrais penser à prendre un petit sucre.

Mes pommettes s'arrondirent et d'un pas douloureux je m'en détournai. Avant que je n'atteignisse ma chambre, Djibril fit irruption de l'une avoisinante, il m'interpela en se rapprochant vivement.

_ Alors Doc'?

_ Merci pour l'info de la salle. Je suis morte, je pense que je vais bien dormir.

Alors qu'il arrivait à ma hauteur, il recula de quelques centimètres en créant un courant d'air devant son nez.

_ Ah oui effectivement! Une bonne séance.

En voyant ce geste enfantin je me concentrai sur le fond de mes poches pour trouver ma carte magnétique et m'orientai vers ma porte.

_ Comme si vous n'étiez pas habitués à vous faire des câlins alors que vous puez le bouc. Quelle hypocrisie!

_ Oui mais tout de suite quand c'est une femme ça perd son charme.

Ses paroles me révoltèrent, je fis volte-face pour le rectifier mais je restai bloquée la bouche entre-ouverte. Il me devança.

_ Ne prends pas cette peine, il tapota gentiment une main sur mon épaule, tu vas t'en remettre, conclut-il en se fichant de moi.

Il s'effaça de mon champ de vision en rejoignant le bout du couloir. Je ne bougeai pas pendant plusieurs secondes, trop ébahie par son honnêteté fulgurante, avant de pénétrer dans ma chambre. Je fonçai directement sous la douche pour me libérer de cet aspect pâteux dû au mélange accumulé de transpiration et de peaux mortes. Sous l'eau chaude qui ruisselait, je sentais mes membres inférieurs revenir peu à peu. Lorsque je tournai les robinets après cinq grosses minutes je m'aperçu que quelqu'un tambourinait sur la porte de mon habitation. Je pris peur. Si quelqu'un était en danger, qu'est-ce que je faisais encore dans ma salle de bain toute nue? En m'appuyant sur les orteils je glissai et manquai de me rétamer la tronche sur le carrelage humide. J'arrachai ma serviette, sortis en trombe et ouvris à mon assaillant en butant l'intérieur de mon pied avec le bois.

Une victoire pour oublier la guerre | R.Varane & les BleusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant