Une victoire pour oublier la guerre | R.Varane & les Bleus

20 - Au milieu d'une rue étriquée

On discuta pendant un temps que je ne saurais pas définir. Je ne sus s'il passait lentement ou rapidement, je ne sentais que le moment présent. À mille lieues de la Coupe, de Madama, de Félix, de Raphaël, ou de Ben. A mille lieues de tout. Et il me sembla ne pas être la seule à avoir le sentiment que les grains de sable soient restés en suspens dans la fine verrerie.

Nous parlions, parlions et parlions, en faisant des pauses pour apprécier le calme qui nous habitaient soudainement. Il résidait là et chacun de nous avait peur de le faire s'en aller. Il était trop précieux.

Mes yeux se fermèrent inconsciemment pour essayer de décupler la sérénité. Je manquai de m'endormir.

En revanche, Paul avait encore de l'énergie pour me raconter des anecdotes sur sa jeunesse avec ses deux frères, Florentin et Mathias.

Alors j'imaginai trois Paulo jeunes courir dans tous les sens après un ballon et faire des blagues de Toto. J'imaginai aussi leur mère qui devait parfois être fatiguée mais qui pourtant continuait de leur apporter tant d'amour et de soutien. Le visage d'une Pioche miniature, un sourire collé dessus, et un short de sport blanc maculé de ridicules morceaux de plastique vert et noir venant du terrain synthétique. Mais il était là, avec son ballon, toujours avec son ballon, où qu'il allait, quoiqu'il faisait. Depuis ses six ans jusqu'à ses vingt-cinq ans, jamais sans un ballon.

Je rouvris les yeux et me tournai vers lui. Il termina sa phrase et se tut. Je croisai ses pupilles sombres et on se fixa. Malgré la fatigue qui commençait à me gagner, je ne pus m'empêcher de sourire avant de sortir spontanément la pensée qui demeurait en moi. Je pouvais la ressentir jusqu'à dans mes veines, il n'y avait plus l'ombre d'un doute.

_ Vous allez gagner.

Après une halte sonore, ses dents ivoires ressortirent dans le brun de son visage. Les coins de ses yeux se plissèrent. Lui non plus n'avait aucun doute. Il s'appliquait à profiter de chaque instant de la compétition ; car il l'aimait. Pas seulement pour gagner, mais aussi pour l'adrénaline, le suspens, le jeu et la camaraderie. Le trophée à lui-même renfermait les gouttes de sueurs, froides ou chaudes, les larmes de joie ou de tristesse, et à l'occasion les gouttes de sang ou de pluie.

Le silence nous gagna et il ne me fallut pas longtemps pour me rappeler qu'il devait être tard et que Paul faisait partie de ceux qui allaient mener le jeu le lendemain. Je me levai et attendis qu'il en fît de même. Sa stature forte s'élevant sous mes yeux. Sans que je ne prononçasse mot, il m'entoura de ses bras et posa son menton mal rasé sur le haut de ma tête, serrant mon pauvre corps halbrené.

_ Aller au dodo. Il est temps, me glissa-t-il.

Avant de s'éclipser, il me décrocha un léger baiser sur le front et me souhaita de passer une bonne nuit, ce à quoi je répondis machinalement quelque chose de similaire.

J'inspirai profondément et me tournai vers le pan de bois où, à ma plus grande surprise, le post-it avait disparu. Désormais, seuls subsistaient les deux pansements entrecroisés. Cela signifiait-il que le problème était réglé ?

Alors que je m'apprêtais à refermer la porte d'un pas lourd, je sentis quelqu'un la bloquer. Je tombai nez-à-nez sur Raphaël. J'arquai les sourcils mais dans le noir du couloir, je n'étais pas sûre qu'il l'eût vu.

_ Hum, oui ?

_ On n'a pas changé mon bandage aujourd'hui.

Ce jour-là, désormais jour de match car minuit était passé depuis plus d'une demi-heure, ce n'était pas tellement nécessaire, et encore moins avant une nuit qui s'annonçait agitée.

_ Oui c'est vrai. Vous vouliez le changer ? Ce n'est pas vraiment nécessaire, autant le faire après le petit-déjeuner.

Il resta muet, ne protesta pas, simplement ne réagit pas.