18 - Nous arrivâmes assez vite à l'aéroport de Kazan

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Lorsque les portes de métal blindées de l'ascenseur s'ouvrirent, je trouvai une poignée de joueurs qui attendait avec leurs valises. Je croisai leurs regards concentrés et mesurai à quel point j'étais à l'ouest ; le lendemain était un jour de match et plus précisément un de huitième de finale. Nous devions partir dans les dix-minutes qui suivaient car plus de neuf-cent kilomètres nous séparaient de Kazan.

Ils s'écartèrent pour me laisser un passage dans lequel je me faufilai. Je sentis l'un d'eux me retenir par le bras, je me retournais vivement irritée par ce contact que je trouvais étonnant.

_ Qu'y a-t-il ? lançai-je alors que je faisais volte-face.

Je me retrouvai face à Grégory qui haussa un sourcil face à ma réaction. La force physique ne semblait pas être nécessaire pour que je le respectasse, il était mon supérieur, comme Tessier il y avait moins de deux semaines, pourtant lui ne m'avait encore jamais saisit le bras pour m'interpeler. Je n'oscillai pas, et restai sur ma position en scrutant tour à tour son visage étonné et la prise qu'il avait sur mon bras. Les joueurs non plus ne bougèrent, tous nous fixaient. Le temps se figea jusqu'à ce que Grégory comprît la rudesse de son geste.

_ Soyez en bas dans cinq minutes, et il ajouta comme si cela avait été nécessaire, cinq et pas une de plus.

Je hochai la tête doucement. Ce qui me frustrait le plus n'était pas tant la rudesse qu'il avait témoignée à mon égard par deux fois depuis mon arrivée, mais bien plus que je ne la comprenais pas. Il m'avait accueillie à bras ouverts, s'était emporté sur l'incertitude de mes diagnostiques et m'avait assurée qu'il m'avait choisie en connaissance de cause lorsque j'avais par malheur réveillé tout l'étage. Je n'arrivais pas à le comprendre, une seconde il me semblait rude et la suivante avenant et rassurant. En somme, tout comme l'aurait fait un parent, non ? Etais-je de retour en enfance ? ou en adolescence ? Ne venais-je pas de me rebeller ? Cela me frustrait tellement. Je voulais essayer de comprendre, et la seule chose qui me venait pour expliquer ses différentes facettes était la pression qu'il subissait. Je semblais être la bonne personne sur qui il pouvait la refouler ; Didier était l'intouchable grand-chef, Guy le bras droit de l'intouchable grand-chef, et les kinés des collègues à qui il était difficile de trouver des reproches à faire, ainsi il ne restait que moi sur qui il pouvait faire preuve d'autorité sans m'offenser. Avant de m'en aller je rencontrai les iris de Paul qui s'était apprêté à intervenir, probablement pour me sauver la mise vu le regard empathique qu'il m'offrait. Le grand frère prêt à protéger sa petite sœur rebelle face à une injustice, je souris intérieurement, il paraissait tellement amène. J'échangeai un dernier regard contendant avec Grégory puis je cédai avant de continuer mon chemin.

Au pas de ma porte se trouvait un morceau de papier plié. Il était jaune fluo comme les autres. Je le ramassai indélicatement, le froissai et le glissai dans ma poche. Je n'avais nulle envie de montrer à quiconque que je tenais, si on pouvait le dire ainsi, une conversation avec quelqu'un par post-it. J'espérais que personne ne l'avait lu avant moi, mais je n'avais pas le temps de me préoccuper de ça. Comparé à ce que je voulais laisser Grégory penser, ma valise n'était pas prête, mes affaires étaient encore éparpillées entre la salle de bain, le lit et la penderie, et je manquais de temps. En quelques secondes je rassemblai ce que je trouvai d'utile dans un vieux sac de sport, saisis ma trousse de toilette et cherchai mon chargeur de téléphone. J'emballai le tout et m'engageai dans les escaliers, les dévalai, et comme je m'y attendais, débarquai dans un hall remplis de membres du staff qui encourageaient les joueurs pour le match qui arrivait à grands pas. Je dû me frayer un chemin vers le réfectoire pour accéder à mon bureau et récupérer le reste de mon barda. Là-bas, j'hésitai à emporter avec moi mon sac de secours, je ne savais pas vraiment si j'allais pouvoir en disposer d'un complet là où j'allais et encore moins s'il allait correspondre à ce dont j'avais besoin pour le bandage de Varane. Quand je pensai à lui et au regard examinateur auquel il m'avait soustraite quand l'inconnu avait déposé le post-it infernal, j'eus presque envie de laisser mon sac à Istra. Cependant je savais bien qu'il n'en était pas question, le voyage allait être assez long pour qu'il se passât quoique ce fût qui m'aurait poussée à me servir du contenu de ce bagage. Je saisis la bretelle et remarquai dessus une large tâche de sang qui n'était pas mienne. Même si jusque-là j'avais toujours tâché de les enlever, j'avais oublié cette dernière. Comme je n'avais plus le temps, je me contentai de l'enfiler sur mes épaules, me rappelant l'effort musculaire que cela impliquait, et les douleurs dorsales que cela engendrait après des heures de marche en plein cagnard. Visiblement, certaines choses me manquaient moins que d'autres.

Une victoire pour oublier la guerre | R.Varane & les BleusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant