15 - Une perle salée

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Après que le jeune homme s'eut rendu compte d'où il se trouvait et à qui il avait affaire, Paul fut celui à qui on confia la lourde tâche de le mettre à l'aise. Cependant quasiment tous les joueurs s'impliquèrent et le pauvre était tiré de tous les côtés pour qu'on lui fît découvrir la propriété. Je les suivais des yeux à travers une baie vitrée, n'osant pas interférer dans ce moment d'émerveillement, j'étais heureuse mais pourtant anxieuse. Voir ses yeux aussi pétillants me réchauffait le cœur, mais je savais pertinemment que la tristesse allait le rattraper d'une minute à l'autre. Je quittai ma tour de guet en sachant qu'il en n'était plus de mon ressort et rejoignis mon cabinet. Je marchais au ralenti, pensante, je glissai ma clé dans la serrure et remarquai qu'elle était déjà déverrouillée. Je poussai la porte et pénétrai dans ce qui avait été ma chambre histoire d'une nuit. Je contemplai la pièce mais je ne su pas quoi en penser. J'essayai de me concentrer mais mon attention divaguait au flot de mes émotions. Alors je restai debout sous le dormant bloquant le pan de bois qui allait se refermer, je m'appuyai dessus. Finalement je cessai de résister au battant et retournai dans le couloir n'ayant aucune envie de rester dans cette pièce. Je marchai pendant quelques minutes sans exactement savoir où j'allais, je me laissai guider par mes besoins.

Lorsque je repris conscience d'où je me trouvais, j'étais assise sur mon lit fixant le mur. Je m'en détournai et croisai mes chaussures poudrées de terre, j'en dénouai les lacets. Dès lors que mes orteils respirèrent à nouveau, se décollant les uns des autres, j'appréciai l'instant sachant qu'il n'était qu'éphémère. Je posai mes pieds sur le sol de moquette bleu marine et glissai mes chaussettes dans le sac de linge sale. Je me dirigeai ensuite vers la salle de bain où je n'osai pas allumer la lumière; mon reflet, peut importait comment il aurait pu être, m'effrayait. Je me contentai ainsi d'un étroit faisceau de lumière qui passait dans l'embrasure, mes yeux s'adaptant à l'obscurité. Je pu presque instantanément discerner ma silhouette dans le miroir. Un étrange mélange de pensées assiégea mon esprit. Je tentai de fixer autre chose, appréhendant toute émergence plus nuisible, mais le simple fait de me reconnaître me rajoutait de nouvelles interrogations sur chacune des actions que j'avais effectuées. Je doutais. J'essayai de trouver la chose qui aurait pu le sauver, juste une seule chose que j'aurais pu faire, cependant c'était toujours pareille: rien ni personne n'aurait jamais pu le sauver autre que lui-même. C'était un casse-tête auquel la solution manquait. La privation de réponse commençait à me déchirer. Mes espoirs s'étaient envolés laissant place à une question qui tournait en boucle dans ma tête. C'était à m'en rendre folle. Je ne trouvais pas. Je ne trouvais pas et un stress naquît en moi. Y aurait-il pu avoir une solution? Je tremblais de plus en plus. Je me débarrassai rapidement de l'épaisse veste dont j'avais hérité, la jetant au sol, le froid instantanément assaillit mon corps. Je finis de me dénuder et trouvai à tâtons l'entrée de la douche où je m'arrosai de l'eau la plus chaude possible. Je savourai cette sensation de brûlure comme si ça me purifiait. La chaleur re-déclancha la culpabilité et le regret que j'avais pendant plusieurs heures essayé de refouler. En plus de ma peau sur laquelle le liquide bouillant ruisselait, je devinais mon être bouillonner de l'intérieur. La sensation était telle que je ressentis une envie soudaine de déchirer mon enveloppe corporelle pour libérer cette haine. Je tentai tant bien que mal de me retenir mais je ne pus m'empêcher de me racler la nuque et le dos de mes ongles. Ceux-ci parcourant mes vertèbres facilement discernables. Puis d'un coup bref je stoppai le jet d'eau, et d'un second je me brisai presque l'avant-bras en m'acharnant sur le mur de carrelage. Une résonnance vibra dans mon radius, me freinant dans mon geste, cependant je continuai quelques secondes désespérée. Tous mes muscles étaient tendus j'en avais presque des crampes. Puis l'énergie m'abandonna rapidement et un vent glacial atteignit mon épiderme sur lequel mes poils se hérissèrent. La petite pièce était rapidement devenue un hammam et l'oxygène se faisait rare. Je tentai à plusieurs reprises de respirer profondément, en vain. J'étais essoufflée, je manquais d'air. Je me laissai tomber le long de la vitre ma tête basculant en arrière. Mes yeux se fermèrent et je revis le jeune adulte se déverser de son sang. Malgré l'eau contenue dans mes cheveux qui continuait de dégouliner sur mes joues, j'étais quasiment sûre que des larmes s'y mélangeaient. Je me claquai la tête un bon coup sur le verre épais m'infligeant ce que je méritais. Doucement mes mains s'infiltrèrent dans ma chevelure pour stimuler de douleur les racines. Un cri étouffé de frustration s'échappa de mes mâchoires serrées. Même le fond de ma gorge me démangeait de mépris. Une espèce de bile, la même que lorsque j'avais découvert son corps, parcouru ma trachée, et à la limite de mes lèvres je la ravalai douloureusement. Enfin à mon plus grand étonnement, cela se traduisit par un bâillement qui me permit de retrouver une ventilation à peu près normale. Je me relâchai. Epuisée.

Une victoire pour oublier la guerre | R.Varane & les BleusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant