LES LETTRES.

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Le sujet d'écriture du jour était simple : Vous rédigerez une lettre à une personne chère que vous avez perdue. Vous lui direz ce que son absence vous inspire, et comment vous vous sentez maintenant.

Leur professeur, Monsieur Smith, avait le chic pour leur demander de puiser dans les profondeurs de leurs pensées et à toujours trouver l'inspiration ailleurs. Il était un enseignant plutôt bien aimé de ses élèves, car ils savaient qu'ils pouvaient avoir en lui une confiance absolue. Il n'était pas rare que l'un d'eux vienne lui demander conseil ou simplement se confier. Cette attitude lui faisait plaisir et il se sentait flatté.

- Je vais vous laisser les deux heures de cours. Je vous suggère de mettre vos idées sur un brouillon puis de les développer au propre ensuite, cela rendra votre raisonnement plus clair.

Il balaya la classe du regard.

- Mais surtout, laissez parler votre coeur. N'ayez pas peur d'écrire, je ne lirai rien du contenu de vos lettres au reste de la classe, ni même à qui que ce soit. Alors laissez-vous aller et exprimez-vous. Vous pouvez commencer.

Les élèves sortirent chacun de quoi écrire et leurs visages plongèrent sur le papier encore vierge. On n'entendit plus que le bruit des stylos qui grattouillaient ou les pages qui se tournaient.

Bertholdt n'avait toujours rien écrit au bout d'une demi-heure. Il savait parfaitement à qui adresser sa lettre, mais il n'avait tout simplement pas le courage d'écrire le prénom tant redouté. Il se risqua à jeter un regard derrière lui. Comme il s'en doutait, il le vit raturer, griffoner, barbouiller sa feuille de brouillon. Son esprit devait affluer.

Aller, se dit-il. Tu ne vas tout de même pas le laisser avoir une meilleure note que toi ! Il prit donc son stylo plume et traça les premières lettres, sans prendre la peine de s'entraîner d'abord.

Tu sais, Reiner,

Il s'arrêta et souffla un bon coup. Ses épaules s'affaissèrent et il s'étira longuement.

Deux tables plus loin, un feutre fin noir parcourait les lignes. La main crispée sur son stylo, le front plissé et le cerveau prit dans un tourbillon d'arguments, Reiner était une véritable machine à écrire.

Tu sais, Bertholdt,

Ce n'est pas si difficile de te parler. Je ne suis pas doué avec ces conneries de mots, mais je pense que je suis assez intelligent pour te dire des choses. Il faut parler à quelqu'un qu'on a perdu. Et tu es la seule personne que j'ai perdu. Je ne sais pas pourquoi je fais cet exercice puisque tu sais déjà tout. Enfin, tu sais quoi, il y a des choses que tu ignores peut-être.

Ca y est, il avait trouvé une idée pour commencer son récit.

Je me souviens la première fois où je t'ai vu. Tu l'as sûrement oubliée. Nous n'étions que de tous petits enfants qui vivaient dans le même quartier. Un jour, ma mère m'a forcé à sortir de la maison, d'aller jouer dehors avec les autres, pour que je quitte enfin de cette solitude écrasante dont elle n'arrivait pas à me tirer. Je n'ai donc pas eu le choix. Je suis sorti dans la rue, et j'ai marché jusqu'au parc de jeux. Effectivement, il y avait beaucoup de monde. Mais je n'ai vu qu'une personne. C'était un garçonnet blond aux yeux d'or, qui descendait un toboggan à plat ventre, et qui semblait particulièrement s'amuser quand il mordait la poussière. Je me suis demandé comment on pouvait trouver drôle le fait d'abîmer ses vêtements et de se salir comme ça. Tu avais quelque chose de fascinant pour moi, et j'ai immédiatement voulu en savoir davantage sur qui tu étais.

Son cerveau tournait à plein régime, alors que le bruit insupportable de la pendule le rendait fou. Il l'aurait volontiers lancée par la fenêtre s'il l'avait pu.

[REIBERT] Recueil d'OS divers. [SNK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant