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_ Alors tu peux me les énumérer maintenant ? me demande Chiara.
_ Tu y tiens vraiment ?
_ Oui, j'aime bien t'écouter, quand tu parles on dirait une conteuse.
_ Effectivement, ça a un effet soporifique sur les garçons. dis-je en lui montrant ses frères endormis, l'un sur un matelas gonflable et l'autre sur les marches.
_ J'écoute. dit Flavio d'une voix endormie.
Raffaele ne dit rien et se contente de sourire le visage face au ciel, clairement inhabituel, limite déroutant. Bref, évitons de le regarder pour l'instant.
_ Mon premier MIYAZAKI, et je parle bien de Hayao, le père, qui a été le déclencheur de mon amour pour son travail, c'est Le Voyage de Chihiro. Mon pied droit lui est dédié avec Haku, l'esprit de la rivière Kohaku, sous sa forme de dragon. Les noiraudes et leurs étoiles de mon poignet droit viennent aussi de ce film. Je l'ai vu cinq fois en un an avant que Laputa : Le Château dans le ciel, sorte en France avec 17 ans d'écart avec le Japon, question de budget à l'époque. Après ce deuxième film, en un an j'ai vu toute la filmographie des studios. Donc nous avons Teto, le renard écureuil de Nausicaä de la vallée du vent, manga de MIYAZAKI adapté en film un an avant la création des studios, qui se cache derrière l'amulette de Sheeta Laputa à l'intérieur de ma cheville gauche. Après j'ai mes trois Totoro sur la hanche du film éponyme. Mon premier TAKAHATA, qui nous a quittée ce printemps.
_ Le 5 avril. intervient Raffaele sans bouger de ses marches, moi qui le croyais définitivement endormi.
_ A été Le Tombeau des lucioles, oh mon Dieu, ce que j'ai pu pleurer, j'avais les yeux tellement brouillés de larmes que je ne voyais plus l'écran, j'ai du stopper le DVD avant de reprendre pour pleurer de plus belle. J'ai mis un moment à me décider de tatouer les lucioles que j'ai derrière l'oreille. Tu ressors de ce film vidé, c'est l'adaptation d'une nouvelle. Je n'imagine même pas dans quel état j'aurais été si je l'avais lu. Après c'est plus léger avec Kiki la petite sorcière et son chat noir Jiji à l'extérieur de ma cheville gauche. Les trois triangles rouges que j'ai dans la nuque à la naissance des cheveux font allusion aux peintures du visage de San, Princesse Mononoké, ainsi que les petits kodama derrière mon oreille gauche. Ceux sont des esprits sylvestres, vivants dans un arbre, ils représentent la bonne santé de la forêt. Mon pied gauche est consacré au Château ambulant. Le médaillon fait référence au style et au capharnaüm de la chambre du sorcier Hauru. Je te présente le visage de Sophie perdu dans les ailes Hauru sous sa forme d'oiseau. En bas du médaillon tu as Calcifer a qui Hauru a confié son cœur, c'est cette forme là. En haut, tu as la lanterne qui se trouve au dessus de la porte du château. Juste au dessous, le sourire figé avec une pipe coincé entre les dents est celui de Navet l'épouvantail. Tu as aussi la truffe de Hin, le chien empoté de madame Sullivan. Changeons de décors avec le petit personnage rouge que j'ai à l'intérieur de ma cheville droite, c'est Ponyo sur la falaise. Tous les Ghibli brillent d'une manière différente mais mes préférés sont ceux des maîtres MIYAZAKI et TAKAHATA. Tu ne peux pas rester indifférent aux œuvres de ses deux hommes, je pourrais utiliser une multitude d'adjectifs sans réellement pouvoir te les décrire avec exactitude. Et je ne te parle pas des compositeurs qui accompagnent leur film, de pures merveilles.
_ Il est beau ton monde Adèle. sourit Chiara.

Après avoir parlé du 7ème art japonais, nous parlons longuement du 5ème, nos coups de foudre, nos gourmandises. De fil en aiguille, j'apprends que Michèle excelle dans le 3ème et plus précisément l'art pictural. L'humilité dans cette famille m'étonnera toujours, ils n'ont rien dit quand je suis restée scotché devant la toile du salon. En y repensant, Chiara qui étudie le stylisme, fait aussi bien honneur à son père qu'à sa mère au travers de ses planches.
Une fois sortie de l'eau limpide, je décide de faire bronzette après m'être enduite de crème, détail qu'il ne faut surtout pas négliger.
_ Adèle ? chuchote Chiara.
_ Hum.
_ Tu dors ?
_ Non, j'écoute le silence.
Je tourne la tête et ouvre un œil pour voir mon amie sourire avant de fermer les yeux. Je tourne à nouveau la tête à cause du soleil, et me laisse éblouir par une autre vision totalement onirique... Celle d'un corps à demi immergé, les coudes reposant sur le bord de la piscine, un torse à lécher, des épaules à griffer, l'arrête d'une mâchoire à croquer et ... Oh... Un regard qui me vrille sur place et atteint directement sa cible en plein dans le mille.
Je serre les orteils et croise mes chevilles en fermant les yeux, m'efforçant de respirer normalement, priant pour que ça soit une coïncidence et qu'il ne m'ait pas vu le dévorer sans aucune vergogne.
L'électricité ressentie me fait partir dans un univers de choses bien inavouables comme dirait Paul.

Une douce voix tente de m'extraire des profondeurs de mes rêves, une autre, grave et sévère, lui ordonne de me laisser tranquille, une troisième s'amuse de la situation tel un farfadet.
_ Hum.
_ On dirait bien que le réveil de la belle a sonné. constate le farfadet.
_ Tu as réussi ton coup. gronde la voix.
_ Mais elle riait. se défend la douce voix.
J'entends des glaçons qui s'entrechoquent dans un verre, hum, j'ai la langue pâteuse, soif.  Le chapeau sur mon visage m'étouffe, je l'écarte et commence à me redresser le plus élégamment possible. J'entends chahuter dans l'eau et rire. J'ai l'impression que quelque chose cloche, un léger vent passe sur mes seins, oh ! Je me recouche et réinstalle mon haut.
_ Merde j'ai tout loupé, ce que tu peux être chiant Raf. geint Flavio en refaisant surface.
_ Lui au moins est respectueux. réplique sa sœur.
_ C'est bon je plaisante, roh, des seins restent des seins. rétorque le cadet.
Et bim, un coup derrière la tête par son aîné, déclencheur d'une petite lutte fraternelle qui sera sans conséquence.
_ Tu as soif ? demande Chiara sous la pergola de l'autre côté de la piscine.
J'hoche la tête et vérifie que tout est en place avant de me lever.
Ça désaltère, hum, ça fait du bien, j'adore le Basilichito, cette limonade au basilic de Gêne était pile poil ce qu'il me fallait. Il va s'en dire que Raffaele a le dessus sur Flavio.
_ Allez. motive l'aîné.
_ Roh t'es lourd. râle le cadet qui est maîtrisé d'un bras dans le dos.
_ Les bonnes manières mon frère.
Dans l'eau, ils se rapprochent du bord de la piscine.
_ Mon frère, le grand sage Raffaele, estime que je dois te présenter d'humbles excuses.
Je fronce les sourcils et fait une moue négative.
_ Ah tu vois, c'est ridicule. se plaint Flavio.
Son frère resserre sa prise ce qui le fait grimacer.
_ Bon, apparemment il y tient. Chère Adèle, veuillez m'excuser pour avoir tenter d'admirer votre poitrine à vos dépends.
Je souris et accepte ses excuses. Au moment où son frère lâche prise, il se met face à lui et clame haut et fort.
_ J'étais dos à Adèle, donc je ne voyais rien. Mais avant que tu ne me sautes dessus, tu ne t'es pas gêné pour les mater.
Oh !?!

Vittorio n'a pas l'intention d'annoncer quoique ce soit à propos de mon recrutement. Bon après tout c'est lui le patron.
Chiara restant avec ses parents et Flavio étant parti sur le lac rejoindre des amis, Raffaele me raccompagne une fois de plus sur Milan.
Les au revoir ne sont pas déchirants car nous savons que nous allons nous revoir sur Paris d'ici un mois, tant mieux ! J'ai eu ma dose d'émotion depuis hier soir.

_ Tu parles avec beaucoup de passion des œuvres des maîtres. dit Raffaele après être sortit de Bellagio.
_ Je ne sais pas en parler autrement.
_ Dans ton sommeil tu parlais et tu riais, c'était agréable ?
_ Honnêtement je ne me souviens pas de tout, mais l'énergie que j'ai ressenti me le confirme.
_ Pleures-tu aussi ?
_ Pas que je saches.
_ Ne penses-tu pas qu'il faudrait foncer tête baissée quand un homme t'appelle encore après tant de temps « la femme de sa vie » ?
Hein ?! Ils ont vraiment tout entendu, arf.
_ Paul ? Non, bien sûr que non. Notre histoire s'est soldée comme elle avait commencée, par la plus sincère des amitiés.
_ Hum.
_ Comment ça « hum » ? C'était qui au téléphone ? dis-je pour changer de sujet, bien que je me doute de la réponse.
Ses mains se resserrent sur le volant.
_ Katrina. Je croyais que tu n'avais rien entendu ?
_ Je te pensais plus perspicace.
_ Hum. Je n'ai vraiment pas fait exprès.
_ De ?
_ De te regarder.
Hein ?
_ De me regarder ?
_ Ta poitrine, j'ai étais surpris, tout simplement.
Oh ! Oh !
_ Euh... Encore un imprévu, avec moi faut pas s'étonner, tant que ce n'est pas... Désagréable.
Faisant référence à notre discussion à propos du pool house.
_ Tant que cela reste agréable. pinaille « Monsieur précis ».
Euh ok, par où puis-je m'enfuir ?
Diable, faut que je tienne encore trois-quarts d'heure.
Bon c'est confirmé, avec moi Raffaele ne parle pas plus de trois minutes.
Où est passé l'homme de la piste de danse ?
Pas la moindre idée, en même temps, prions pour qu'il se manifeste le moins possible.

Tant qu'il fait danser mon cœur Où les histoires vivent. Découvrez maintenant