La Mort est bourrée (10)

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PDV Karma :

Derrière nous, les chiens et les ordures sur pattes gagnaient de plus en plus de terrain. Je pourrais mettre ma main à couper qu'une des balles tirée m'a effleuré le bras droit et qu'une des mâchoires de ces molosses a claqué juste derrière mon talon. Je m'époumonais pour encourager à avancer les enfants plus lents, et était terrorisé à l'idée que Nagisa se fasse toucher, à découvert dans mon dos. Bien qu'un poids plume, il se faisait plus lourd à chaque pas.

Je tenais fermement une petite par la main, qui n'avançait pas très droit et avait par deux fois faillit se prendre les pieds dans les plaques d'égout. Si l'adrénaline ne m'avait pas donné des ailes, je serais déjà à leur merci... Dès qu'un enfant se faisait distancer ou tombait derrière moi, je savais que je ne pourrais le sauver. Je gravais chacun de leurs visages meurtris dans mes yeux pour me pousser à aller plus vite, pour les mettre à l'abris. Un liquide chaud gicla sur ma jambe : encore une vie s'égarait par leur faute.

Un petit garçon manqua de s'effondrer, je le relevais aussitôt, la cavalcade s'éternisait. Akira, une dizaine de mètres devant moi, se mouvait avec une agilité déconcertante. Sans que je m'en rende compte, il y a de moins en moins de cobayes avec nous. Ils sont tirés comme des lapins. Pourquoi étais-je encore en vie ? Je l'ignorais. Mes pensées allaient vers deux choses dont je restais imperturbablement fixé.

-Courir. Mettre mes mains le plus haut possible dans le dos de Nagisa pour limiter les chances qu'il soit visé.

-Protéger les enfants.

Le temps s'étirait, tout paraissait de plus en plus irréel. Les hurlements des associés de BDB se faisaient plus lointain. Dans un état second, je rattrapais Akira à notre voiture. Celui-ci l'ouvrit en s'y reprenant à plusieurs reprises, submergé par la panique. Je fis volte-face pour ordonner aux enfants de monter, vite, mais il n'y avait plus personne à secourir.

- Bouge toi, abruti ! Cria Akira.

En état de choc, je me souvins du garçon et de la fille qui me tenait la main. La fille était déjà à bord du véhicule, recroquevillée sur un siège. Aucune trace de mon autre protégé. Je claquais la portière avant d'entrevoir entre deux camionnettes nos premiers poursuivants.

- Tu vas te bouger, oui ou non ?!

Je gagnais ma place, installais Nagisa sur mes genoux et le moteur ronfla. Pas le temps pour la ceinture.

- Dis, tu nous avais pas dit que t'avais pas ton permis ? Demandais-je, la voix encore déformée par l'angoisse.

- Fuck les formalités, décréta-t-il, les yeux rivés sur la route.

Il frôla une moto et le phare gauche grinça contre un lampadaire éteint. Il ne se débrouillai pas trop mal, et nos ennemis n'étaient plus en vue dans le rétroviseur. Bientôt, la salle des fêtes disparut à son tour.

Peu à peu, je recouvrais mes esprits et mon calme. Finalement, malgré la folie de cette soirée, nous étions vivants. Pas tous. Mais nous. Je me concentrais pour caler ma respiration à celle de Nagisa, profondément endormit. Je l'entourais doucement de mes bras pour éviter de l'éveiller, et soudain tout me parut plus net.


//J'étais encore tout petit quand mon père était partit, un nourrisson. La photo de son portrait, déchiré puis recollée par ma mère à mon attention ne m'évoquait rien, sinon un peu de mépris pour sa lâcheté. "Il avait une vie", me disait simplement ma mère pour justifier son absence. A l'école, les autres élèves ne m'aimaient pas. Je ne savais pas pourquoi, ni comment, mais arrivé au collège, l'injustice me parut juste intolérable. Un profond sentiment de dégoût découlait d'elle, de sorte que je ne pouvais me résoudre à laisser des adolescents se faire humilier.

Dans Mon ViseurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant